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Gábor Vargyas:
Conjurer l’inéluctable - un rituel Brou
[1]

[Paru dans Peninsule. Études interdisciplinaires sur l’Asie du Sud-Est Péninsulaire, 1998, 37(2) (nouvelle série) : 99-156.]

« Allonger la vie humaine » (yao sớp anhuq [2]): tel est le sens du rituel attesté chez les Brou du Vietnam Central et présenté ci-après [3]. Ce rite chamanique typique, relativement rare, comme toute cérémonie chamanique brou, possède une dimension thérapeutique. Cependant, il révèle des particularités intéréssantes:

  1. la « maladie » en question – la vieillesse – est celle dont chacun souffrira inévitablement un jour.
  2. Le rituel, réalisé pour une première fois lors d’une maladie ordinaire, et dans un âge avancé, devient périodique; on le répète tous les « cinq ans » afin que l’individu concerné « continue à vivre ».
  3. Il est exclusivement réservé aux personnes âgées, hommes ou femmes, au même titre.

Mais avant de décrire et d’analyser les diverses séquences de ce rite, il convient de présenter brièvement l’espace rituel chez les Brou et ses agents, pour pouvoir situer l’événement à décrire dans le tableau plus général de la ritualité brou. Mais avant d’aller plus avant, nous rappellerons quelques données générales sur les Brou.

Généralités sur les Brou

Les Brou (Vân Kiêu dans la littérature vietnamienne) sont l’une des cinquantaines minorités montagnardes de la Cordillère Annamitique, à ne pas confondre avec les Brou (ou Brao) du Cambodge dont la langue diffère complètement (voir J. Matras-Troubetzkoy, 1983). Ils vivent dans les provinces de Quang Binh et de Quang Tri, dans le centre du Vietnam, vers le 17ème degré de latitude, à cheval sur la frontière entre le Vietnam et le Laos. Leur plus forte concentration apparaît autour du chef-lieu de Khe Sanh (Huong Hoa) au nord de la route Numéro 9, qui relie le littoral à la vallée du Mékong, à partir de Dong Ha (Vietnam) jusqu’à Savannakhet (Laos).

La langue Brou appartient à la famille occidentale de la branche « katuic » des langues Môn-Khmer. Leurs plus proches parents linguistiques sont les Tri, Mangkong et Khua du Laos – considérés souvent par les linguistes comme des dialectes brou (voir les cartes de Bradley dans Wurm, S. - S. Hattori, 1981). Quant à leur nombre, il est incertaine. Selon le recensement de 1989, il y aurait 40.132 Brou-Vân Kiêu au total dans les provinces de Quang Binh, Quang Tri et Thua Tien (voir Ethnic Minorities, 1993: 84); ce chiffre nous paraît extêmement bas puisque les Brou-Vân Kiêu et les Pacoh y sont groupés ensemble sous le nom générale de Vân Kiêu. Le seul chiffre exact dont nous disposons est celui du dernier recensement du 1.4.1989 au Huyen Huong Hoa (Khe Sanh) où, à part 21.000 Vietnamiens, il y avaient 22.800 Brou-Vân Kiêu et 10.000 représentants d’autres minorités (dont la majorité est Pacoh).

Les Brou pratiquent l’agriculture itinérante sur brûlis, mais connaissent également depuis quelques générations la riziculture humide.


Le système du monde surnaturel: le panthéon

Suivant la pensée brou, les divinités se répartissent en deux catégories fondamentalement opposées avec : - d’un côté les yĩang tâng dống, c’est-à-dire « les divinitées de/dans la maison » et par extension, de l’espace habité; - de l’autre les yĩang tâng nsắk, les esprits de/dans la brousse, des chaumes du riz, de l’espace non habité [4].

Contrairement à l’opinion courante, le nombre de ces génies n’est pas illimité [5]. Si potentiellement, il existe autant de génies que de choses, dans la pratique le nombre des divinités invoquées dans la plupart des rituels n’excède pas la dizaine. La catégorie des génies domestiques, qui retiendront ici notre attention, est particulièrement bien délimitée.


Les deux génies principaux : Yĩang Abon et Yĩang Kaneaq

Selon le contexte, deux génies, yĩang Abon et yĩang Kaneaq, dominent le panthéon domestique.

Yyĩang Abon fait office de génie du riz, la nourriture de base des Brou. En tant que tel, il est lié à la subsistance et à la fécondité. Seul esprit à être conçu sous une forme humaine, il est identifié à une vieille dame, ayaq = grand-mère. Dans ce contexte, il faut indiquer que le riz est la seule plante pourvue d’une « âme » (ruviye) à l’image de l’homme [6]. De même que l’existence de l’homme est assurée par la divinité de la naissance, yĩang Chiet, l’existence du riz est également assurée par l’action de yĩang Abon, qui joue donc un rôle primordial dans le cycle agraire.

En fait, pendant ce cycle, yĩang Abon est censée quitter provisoirement la maison pour s’établir dans les essarts et, à la fin des moissons, revenir à l’habitation. Une bonne partie des cérémonies agraires recompose ce cycle symbolique: on « réveille » d’abord la semence, puis cette dernière se dirige vers l’essart où une hutte spéciale est construite à son intention. On fait « entrer » son âme dans l’essart, puis, après les moissons, on « ramène » Abon avec les derniers épis. Le cycle part donc de la maison pour s’y achever. Le fait qu’Abon soit toujours présent dans la maison (au moins par son autel et des grains de riz dans la calebasse qui y est déposée) et que, simultanément, il se trouve dans l’essart, a pour résultat une certaine ambiguité quant à sa localisation. D’où le dédoublement de certains rites. Le rituel ou l’une de ses parties se déroule dans la maison, et l’autre, ou l’une de ses séquences dans l’essart pour le même évenement du cycle agraire.

La forme de l’autel d’Abon diffère en partie de celle correspondant à celui d’autres génies [7], par la présence dans l’autel-maisonnette d’une calebasse (aluôi Abon) contenant des grains de riz. A notre avis, la présence de cette courge peut être mise en rapport avec le mythe d’origine que les Brou partagent avec les Lao ainsi qu’avec beaucoup d’autres populations d’Indochine [8]. Ce mythe se rapporte au Grand Déluge, à la fin duquel l’humanité, c’est-à-dire les différentes ethnies, naissent à partir d’une courge.

L’autre génie est yĩang Kaneaq qui désigne, en fait, les ancêtres divinisés du patrilignage [9]. Selon la conception des Brou, lorsqu’une personne meurt, son âme (ruviye) quitte son corps mais reste ici-bas, quelque part dans la brousse, autour du tombeau et du dống nsắk [10] – édifice spécial abritant ‘l’âme’ des morts « récents » (expression qui vaut pour trois à quatre générations), ceux dont on se souvient et qui font l’objet de rites commémoratifs périodiques « funéraires ». A la fin d’une série de rites « funéraires » très complexes, qui s’étalent sur plusieurs décennies et au fil de laquelle le souvenir personnel de ces défunts s’efface progressivement, ces morts « vont en haut », vers un empyrée mal défini d’où, plus tard, ils seront invités à descendre pour prendre leur place dans l’autel collectif (Kaneaq) de la maison. Le parcours (de « l’âme ») de l’individu, de manière similaire à celui d’Abon, est donc ciculaire. Il est marqué d’abord par un éloignement, puis par une réintégration dans le monde des vivants, sous forme de génie. Ce génie est constitué, d’une part, de la quantité anonyme et impersonnelle de défunts que représentent les ancêtres. Mais, d’autre part, une fois « montés », les ancêtres s’effacent pour fusionner dans un génie personnalisé, Kaneaq, qui est la divinité des défunts. Les morts « font » donc ensemble la divinité qui est, pour ainsi dire „la divinité et les morts” [11]. Le but des rites funéraires est donc de mettre en place ce processus de transformation.

Tout ce qui intervient dans la maison, ainsi que dans la société des hommes, se passe sous les yeux de Kaneaq. Que se soit une naissance, un mariage, une mort, la construction d’une nouvelle maison, le déménagement d’une famille, l’arrivée d’un étranger, ou un évenement d’une importance mineure, tout doit lui être annoncé. Il doit être constamment informé et approuver l’action des humains: dans le cas contraire, il peut infliger de maladies et de maux. Par conséquent, il n’y a pas de cérémonie sans que Kaneaq ne soit invité, par présentation d’un plateau d’offrandes. Pendant les divers rites, une relation continue est maintenue avec lui (comme avec d’autres génies) par le biais de baguettes divinatoires [12] .

Les trois autres génies : yĩang Mantỗr Priang, yĩang Tễ dống kuya/nuaq et yĩang Chiet

A côté de ces deux génies principaux, il en existe encore trois autres: yĩang Mantỗr Priang, yĩang Tễ dống kuya/nuaq et yĩang Chiet – dans l’ordre décroissant de leur importance.

La position et le rôle de yĩang Mantỗr Priang reste, pour le moment, assez obscur. De cette divinité on sait seulement qu’elle est « le fils » de Kaneaq. L’expression métaphorique signifie qu’elle n’est pas aussi valorisée que Kaneaq et qu’un lien existe entre les deux. Elle partage souvent le même autel que le précédent [Figures 2-3.] et, dans ce cas, on assiste à un redoublement de l’autel-maisonette. Nombre de Brou sont aussi d’accord sur le fait que c’est un génie provenant de la maison des donneurs de femmes [13]. Ces informations mises à part, il reste une incertitude et une imprécision. Le nom vernaculaire de l’esprit – Mantỗr = étoile; priang = avancer, s’écarter ; c’est-à-dire l’ « étoile du berger, étoile du soir, étoile du matin » – ne nous aide pas non plus à comprendre le statut de cette divinité.

Yĩang tễ dống kuya/nuaq est peut-être le génie le plus particulier des Brou. Son appellation signifie littéralement « génie de la maison des donneurs de femmes ». Pour comprendre le statut de ce génie dans le Panthéon, il faut se rappeler tout d’abord le rôle extrêmement important [14] que le groupe des « donneurs de femmes » (kuya) joue dans la vie sociale des Brou, et qui s’exprime entre autres par leur valorisation, contrairement avec les preneurs defemmes (khỡi), moins prestigieux.

Cette valorisation est exprimée, d’une manière visible, par l’autel de ce yĩang [Figures 2-3.], confirmant l’importance sociale des kuya au niveau « surhumain » ou divin [15]. En épousant une femme, on « épouse » aussi ses divinitées ancestrales qui viendront s’établir dans la maison du conjoint. Pour la bru qui a quitté son lignage et son village natal pour s’installer dans un milieu étranger et, d’un certain point de vue, hostile, c’est une preuve tangible: elle n’est pas seule, abandonnée. Même loin d’eux, elle demeure sous leur protection divine. La présence symbolique de son groupe, sous forme d’autel, rappelle constamment aux preneurs de femmes qu’ils ne peuvent pas la maltraiter. D’autre part, pour le groupe « preneurs de femmes », c’est une reconnaissance ouverte et visible du rôle prépondérant que les donneurs de femmes jouent dans leur vie. L’acte de mise en place de l’autel dédié à la divinité ancestrale de l’épouse resserre donc les liens tangibles existant entre les deux groupes.

De plus, ces liens ne cessent pas avec la disparition des alliés. Ils demeurent valables pour leurs descendants, et sur plusieurs générations. Cela s’exprime dans le changement de nom à travers le temps: ainsi les affins qu’un Brou désigne globalement par le terme kuya, seront appelés (kuya)-nuaq = (le groupe des donneurs de femmes de son père) par son fils et (kuya)-nô = (groupe des donneurs de femmes de son grand-père) par ses petits-enfants [16]. D’autre part, à la mort des parents, c’est-à-dire les fondateurs de l’alliance, l’autel qui vient de la maison de leurs donneurs de femmes, ne sera pas jeté, mais gardé pendant une génération et obligatoirement « nourri » par leur fils.

Le dernier génie de la maison est yĩang Chiet qui apparaît sous trois formes: Chiet Tatơam Bar, Chiet Kamnỡt et Chiet Aruông. Le mot chiet est d’origine sanskrite: jā = « être, naître » – dont jāti (ciət) = « naissance » est une dérivation tout comme kamnỡt = « naissance », en khmer est une dérivation, un doublet poétique de kỡt = « naître » [17]. La notion proprement bouddhique de pho me kamnỡt (parents de la vie antérieure) étant également connue des Lao [18], l’origine du terme reste à éclairer. En Brou kỡt signifie « être conçu, naître, se transformer », tandis que chiet correspond à « pousser », « germer ». Ce dernier mot est utilisé aussi pour décrire le phénomène de repousse des plantes: án chiet lơăh = (il/elle) repousse à nouveau.

Ainsi « Chiet kamnỡt » est un pléonasme dont les deux composantes signifient également « naissance ». Yĩang Chiet est par conséquent la divinité de la parturition et, par extension, de la renaissance. Si l’homme existe, c’est parce que cette divinité intervient dans le processus. Grâce à son action, un nouvel être vient au monde. Cela se réalise sous deux formes:

  1. « l’âme » (ruviye, voir note 6.) d’une personne récemment morte, cherchant une nouvelle demeure, entre sous l’injonction de yĩang Chiet dans un nouveau-né (ré-incarnation). Selon l’opinion courante c’est le cas quand, pendant sa grossesse, la mère effectue un rêve dans lequel un de ces parents récemment décédé demande « d’habiter chez elle » ou lorsque le nouveau-né présente un signe corporel (bec-de-lièvre, marque de naissance etc.) [19];
  2. yĩang Chiet personellement (c’est-à-dire dans une de ces émanations ou formes concrètes, puisqu’il y a autant de Chiet que de personnes) est descendu du Ciel pour entrer dans le corps d’un nouveau-né. Quoi que ce soit le cas habituel, le moment et la signification exact en sont inconnus. On ne précise jamais ce que yĩang Chiet fait, quand ni comment il entre dans le corps de l’individu. D’habitude on maintient que « peu après » la naissance on a déjà un Chiet, mais on ne se soucie pas de lui, on ne prend pas acte de sa présence jusque aux premières maladies.

La désignation de la forme la plus importante de Chiet, « Tatơam Bar » est une allusion diffuse à cette descente de yĩang Chiet du Ciel. Tatơam signifie « jeune homme », bar = « deux ». Ces deux jeunes êtres, d’origine divine, seraient descendus des Cieux (avec deux jeunes filles), pour habiter le corps et pourvoir de richesse, d’abondance le nouveau-né en question. C’est le Chiet le plus hautement valorisé, considéré comme le plus « heureux », puisqu’il lie l’homme d’une manière directe à une origine « divine ». Quant aux noms des deux autres types de Chiet, ils ne font pas allusion à ce même évenement. Nous avons vu la signification de Kamnỡt; tandis que Aruông signifie simplement la forme (en entonnoir) de l’autel qui y est associé [20].

Cependant, les deux formes de naissance ne sont ni complémentaires, ni contradictoires, et ne correspondent pas à des différences statutaires. Elles coexistent simplement. C’est qu’il n’y a pas de personne sans Chiet: même ceux nés par réincarnation ont, eux aussi, l’une des trois formes de Chiet . En même temps, s’il n’y a pas de personne sans Chiet, il n’y en a pas non plus sans ruviye. Mais, à l’inverse de chiet, l’origine ultime de ruviye est inconnue. Tout ce qu’on sait de lui est qu’à la mort de l’individu il peut avoir un destin bifurquant: aller « en haut » et devenir plus tard Kaneaq ou renaître dans un individu. Mais d’où et comment on l’obtient, cela reste obscur.

La prise en compte rituelle du Chiet, est toujours liée à une maladie (généralement pendant l’enfance) [21]. Le chamane, invité à cette occasion, découvre par divination, de quelle sorte de Chiet jusque là inconnu, on est le porteur. Cette divination est, selon notre opinion, toujours préconditionné par des faits sociaux. Il ne faut pas oublier qu’avoir un Chiet hautement valorisé ne signifie pas uniquement recevoir des avantages sans retour, mais nécessite des sacrifices plus coûteux (celui d’un buffle), de la part du propriétaire et donc suppose une certaine aisance ou richesse. La forme de l’autel de Chiet [Figures 2-5.] exprime par conséquent grosso modo le statut social de l’indivindu. Ainsi, il est relativement rare, qu’un enfant ait un Tatơam bar, et même dans le cas contraire, il sera plutôt de sexe mâle. Par ailleurs, il aura plutôt la forme « primaire », en bambou, [Figure 2.] de l’autel qui, étant une « avance » ou une anticipation du « véritable » autel, ne nécessite pas de sacrifice du buffle. En avançant en âge, selon les moyens financiers de sa famille, et la gravité de ses maladies, après une série de sacrifices culminant par celui du buffle, le garçon va progressivement recevoir l’autel en bois [Figure 3.], le plus prestigieux. Il est rare, en revanche, qu’une personne du sexe féminin (fille ou femme) ait un Tatơam bar. Certaines en dénient même explicitement la possibilité, j’en connais néanmoins de plusieurs exemples. Le cas le plus courant est celui où un garçon a un kamnỡt et une fille, un aruông.

Nous sommes ici en présence de deux théories contradictoires sous-jacentes. Selon la première, une personne ne peut avoir qu’une sorte de Chiet. Dans ce cas là, si la famille est assez aisée, on préfère avoir un Tatơam bar tout de suite – puisqu’il n’est pas possible de « réparer » la chose plus tard. L’autre théorie veut qu’une personne puisse avoir plusieurs (!) formes de Chiet. Cette conception assimile donc les différentes sortes de Chiet à une sorte de suite progressive dans laquelle on avance lentement selon les circonstances. Dans ce cas là, on préfère généralement commencer par la forme la moins coûteuse: Aruông ou Kamnỡt. De cette manière, il existe des autels d’Aruông également pour des garçons. Quoi qu’il en soit, dès la prise en compte rituelle, un lien spécial se crée entre la personne et son Chiet qui devient en quelque sorte son esprit gardien ou protecteur.

Afin de visualiser ce lien, on réalise un autel correspondant à l’un des trois types possibles. En cas de maladie ou d’infortune, même dans un âge avancé, c’est vers son Chiet qu’une personne va se tourner d’abord, et lui présenter des sacrifices mineurs ou majeurs selon la gravité du cas. C’est ce Chiet qu’il tente de « rafraîchir »: l’expression un peu plaisante lahơi chiet (« rafraîchir le Chiet ») signifie „amadouer, plaire au chiet”, c’est-à-dire gagner sa bienvieillance par des sacrifices et par tout ce qui peut lui plaire (par exemple des cours d’amour). L’origine de cette expression est à chercher dans une série d’oppositions de type fraîcheur/chaleur, vie/mort, santé/maladie etc.

La relation de la personne et de son Chiet est cependant ambivalente. Si, comme nous l’avons vu, certains Chiet (Tatơam bar) pourvoient une personne de richesse, d’abondance et de chance et font alors office de génie protecteur, à l’inverse lorsque le Chiet est maltraité, « lorsqu’il a faim » (ce qui signifie qu’il ne reçoit pas assez de sacrifices), il peut infliger des maladies. Il vaut mieux donc « acheter » ou « mériter » la bienvieillance de son Chiet – pour ainsi bénéficier de ses avantages. Le Chiet est enfin solidaire de la destinée de l’homme. Quand la personne meurt, le Chiet meurt aussi. Avec la personne, son Chiet disparaît également: on sépare son autel des autres et on le jette dans la brousse.

Notre intention n’est pas d’analyser ici en détail le système que forment les divinités domestiques. Nous mentionnerons simplement que dans cette série de cinq génies: Abon - Kaneaq - Mantỗr Priang - Tễ dống kuya/nuaq - Chiet [22], il est difficile de ne pas voir tout ce qui représente et symbolise la société Brou. Abon est le riz, la nourriture quotidienne. Kaneaq est le lignage et ses ancêtres, le « we-group ». Tễ dống kuya/nuaq représente les alliés particulièrement valorisés ainsi, probablement, que Mantỗr Priang, lié à ceux-ci. Enfin Chiet représente la personne, la seule changeante parmi tous ces yĩang, comme si tout ce qui représente la société était permanent, et tout ce qui s’attache à l’individu était éphémère. Abon - Kaneaq - Mantỗr Priang sont immuables: ils existent depuis l’origine du lignage, c’est-à-dire de la société. Tễ dống kuya/nuaq est variable certes, mais au moins dans l’une de ces formes (nuaq), il est donné une génération avant ego et de la sorte, préexiste partiellement. Seul Chiet naît et disparaît avec la personne. Les autels symbolisant les relations et les normes sociales restent donc immuables et constituent, en quelque sorte, le cadre culturel dans lequel l’individu s’inscrit, l’autel personel apparaissant et disparaissant dans ce cadre pour s’intégrer en fin de compte (sous la forme de Kaneaq) dans la société [23].

L’espace rituel

L’espace rituel est construit en fonction de ce Panthéon. Les « divinités de/dans la maison » ont leurs sièges, leurs autels dans les habitations particulières tandis que celles « de la brousse » l’ont dans la forêt adjacente du village. Bien qu’au fond tous les autels symbolisent une maison où le génie en question est censé demeurer, la désignation, la forme et les dimensions de ces autels sont variables. Le nom vernaculaire pour les autels domestiques est simplement yĩang, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de différence terminologique entre le génie et sa demeure. La raison en est que cette dernière est conçue à un certain niveau comme le corps du génie. Toutefois, les Brou distinguent sans équivoque l’un de l’autre lorsqu’on leur demande des précisions. Ces autels sont des constructions permanentes faites en bois et bambou, et ils sont disposés sur le mur longitudinal en face de l’entrée, dans ce qui est la pièce principale, à partir du poteau d’angle de la maison, le poteau sacré ou « poteau des génies » (tanũl yĩang) [Figure 6.].

On distingue trois formes fondamentales d’autels domestiques. La première, la plus élaborée [Figure 2-3.] est une vrai maisonnette avec un toit tressé en lamelles de bambou, soutenu par deux tubes, sur une base carrée faite également soit de bambous fendus et entrecroisés soit en bois [24]. C’est dans cet espace protégé que le bol en porcelaine contenant les offrandes est déposé.

L’autre forme [Figure 4.] est une version réduite de la précédente: le toit y manque, l’autel est donc un simple « plateau d’offrande » carré, en bambous fendus et entrecroisés, avec un anneau tressé ajouté par-dessus pour recevoir le bol d’offrandes.

La troisième forme [Figure 5.] est ce qui est appelé par Madeleine Colani (suivant F. Buschan) une « corbeille à offrandes ». Elle consiste en « un bambou que l’on a fendu au-dessus d’un noeud, de façon à former une dizaine de lamelles dont une extrémité tient encore à la tige. On les écarte pour avoir une sorte de cône; la base en haut; on les maintient par un ou plusieurs cerceaux horizontaux en bambou ou en rotin » (Colani, 1936 : 230). L’extrémité inférieure de la perche est attachée au mur ; l’ouverture en haut reçoit l’ habituel bol en porcelaine. De ces trois formes, c’est la seule à avoir un nom générique: aruông qui sert également à désigner une sorte de nasse de la même forme, en entonnoir.

Ces trois structures abritent la quasi-totalité des génies domestiques [25]. La maisonnette reçoit Abon, Kaneaq, Mantỗr priang, Tễ dống kuya/nuaq et le Chiet de rang supérieur, Chiet Tatơam bar. Les deux autres types d’autels abritent, quant à eux, les Chiet de rang inférieurs, Chiet Kamnỡt et Chiet Aruông. De cette énumération ressort qu’il y a moins de formes d’autel que de génies. Ce qui les unit à un type particulier, c’est l’animal immolé. Les génies habitant la maisonnette « mangent » tous du buffle, l’animal le plus prestigieux du point du vue sacrificiel (mais ils consomment également du poulet et du cochon dans des cas mineurs) – tandis que les deux autres types ne « mangent » que du poulet ou du cochon. L’animal immolé exprime donc une hiérarchie sacrificielle tout comme la forme des autels. Cependant, les deux formes inférieures d’autel vont de pair uniquement avec un génie particulier tandis que, parmi les autels-maisonnettes, seul Abon est identifiable par sa forme, c’est-à-dire par la présence de la courge dans le réceptacle.

La différence hiérarchique s’exprime également dans la disposition spatiale des autels. En effet, selon la conception brou, la (les deux) poutre(s) horizontale(s) (prang tơar) de la maison supportant les chevrons du toit est/sont la ligne de démarcation entre les mondes terrestre et céleste. Tout ce qui est au dessus de la poutre, appartient à ce dernier, ce qui est en dessous, mais près de la poutre est à mi-chemin (diria karna/rana) entre les deux mondes, alors que les autels placés bien en dessous de la poutre sont en contact avec le monde ici-bas. De cette manière les trois types d’autels sont placés à différentes hauteurs. Les yĩang les plus importants, consommateurs de buffle, sont disposés le plus haut. Ils reposent sur la poutre à la hauteur du grenier dans une ouverture pratiquée dans les lattes de ce dernier. Par contre Chiet Kamnỡt est enfoncé à l’aide de ses fourches saillantes dans les panneaux de bambous entrelacés du mur, juste en dessous de la poutre. Enfin Chiet Aruông est attaché au mur à hauteur de taille, donc plus près du plancher que du grenier. [Figures 7-8. ]

Cette hiérarchie verticale prononcée va de pair avec une hiérarchie horizontale . La rangée des yĩang suit toujours un ordre fixe de gauche à droit, à partir du « poteau des génies » (tanũl yĩang), suivant le mur longitudinal, en face de l’entrée. La série est commencée invariablement par les deux yĩang les plus importants de la maison, Abon et Kaneaq. La position d’Abon est très particulière. Elle est placée sur le « poteau des génies », perpendiculairement à l’axe que forment les autres divinités [Figure 8.], leur faisant face, comme si elle les « regardait » ou les « surveillait » – sa position spatiale marquant ainsi sa position hiérarchique.

La ligne proprement dite des autels commence toujours par Kaneaq qui, quoique près d’Abon et du « poteau des génies », mais aligné avec les autres génies, tient une place principale. Il est suivi par Mantỗr Priang avec lequel il partage souvent la même maison (un autel redoublé); puis vient Tễ dống kuya/nuaq (d’abord nuaq puisqu’il est « antérieur », il remonte à une génération plus haut; suivi de kuya, la génération du maître de la maison); pour finir la série par les Chiet des différents membres de la famille (ces autels devraient suivre théoriquement l’ordre des naissances, ce qui n’est pas toujours le cas puisqu’ils sont liés à des maladies subies dont l’ordre ne peut pas être prévu). Les séries des deux autres formes d’autels, celles de Chiet Kamnỡt et de Chiet Aruông, situées à un niveau inférieur, dépendent, elles aussi, de l’ordre des maladies.

Tous les rites accomplis en l’honneur des yĩang de la maison, se déroulent obligatoirement à l’intérieur, face à – et en dessous de – cette triple ligne d’autels. La construction de l’espace sacré implique d’une manière générale une décoration temporaire, avec des tissus et des vêtements précieux, de la barre horizontale qui sert d’habitude pour y ranger les vêtements de tous les jours. Elle implique aussi la disposition des plateaux d’offrandes sur le plancher, suivant la ligne des autels. Autant de génies, autant de plateaux, dans l’ordre fixe des autels. Pendant les rites, l’officiant est accroupi, face aux « génies » et à leurs plateaux ; ses baguettes divinatoires à la main, il jette de temps à autre une pincée de riz décortiqué, non cuit, vers les autels pour « inviter » les divinités à manger, et récite les prières à mi- ou haute voix selon son tempérament.

Fondamentalement – et ceci vaut également pour les rituels en l’honneur des génies de la brousse – il y a deux types de rituels: ntơăng et yao. Ntơăng signifie en Brou « réciter des prières » et par conséquent ce mot désigne des rituels pendant desquels des prières sont récitées. Yao veut dire « chanter des airs chamaniques » et, par extension du champ sémantique, les rituels pendant lesquels de tels chants sont entonnés par le chamane, sont également appelés yao. La différence entre ces deux types génériques est d’ordre économique, mais certains aspects très importants du rite en découlent. Si l’organisateur de la cérémonie (le « sacrifiant ») n’a pas assez de provisions et surtout de boissons [26], il organise un ntơăng – rituel sans ou avec consommation symbolique d’alcool et, par conséquent, sans participation d’un « spécialiste », le chamane. Dans ce cas là, c’est lui, le chef de famille (éventuellement chef de lignage ou de village) qui sera l’agent du rituel (le « sacrificateur ») et qui récitera à la manière décrite plus haut les prières pour offrir les plateaux de sacrifices aux génies. Ces ntơăng, quelqu’importants qu’ils puissent être, ne sont jamais aussi grandioses et spectaculaires, ne durent jamais aussi longtemps, ne réunissent jamais autant de monde que les yao. Ceux-ci, organisés lorsqu’il y a assez de boissons et bien entendu de vivres, impliquent la présence d’un chamane qui, avec un assistant, présente les offrandes aux génies dans ses chants.

Dans ce contexte on se doit de souligner l’importance et le rôle de l’alcool. Alcool et rituel chamanique vont de pair et l’activité du chamane est inimaginable sans celui-là. Selon l’un des rares « mythes » que connaissent les Brou, le riz est d’origine céleste; de plus il est la seule plante ayant une âme. Issu de cette plante elle même sacrée, l’alcool est beaucoup plus qu’une simple boisson ; il est sacré au sens large du terme. Pour ouvrir une bouteille ou une jarre d’alcool, il existe chez les Brou ainsi que d’autres populations proto-indochinoises, de rituels appropriés [27]. Quand le chamane commence une séance, il ouvre une bouteille et en récitant des prières, il invite son esprit auxiliaire, à qui il l’offre, et sans laquelle il ne pourrait même pas s’engager dans le travail [28]. Ainsi, le rôle de l’alcool apparaît fondamental dans le chamanisme brou.

Les agents rituels

Comme nous l’avons vu, potentiellement tout homme peut être officiant. Selon le type de rite et des yĩang à inviter, il peut être chef de famille, de lignage ou de village. Ce sont eux, les membres « non-spécialisés », « anonymes » de la société, qui célèbrent la majorité (environs les trois quart) des rites: ceux du cycle agraire, ceux concernant la vie d’un individu (naissance, mariage, mort) ou les cas moins graves de maladies, etc. Cependant, quel que soit l’agent, le rituel qu’il accomplira sera du type ntơăng décrit plus haut, puisqu’il ne détient pas de compétences chamaniques.

Dans nombre de villages brou, l’on trouve un spécialiste, mo yao, invariablement un homme, que j’appellerai « chamane » (littéralement: mo = « maître ès » pour reprendre un terme heureux forgé par G. Condominas; yao = voir plus haut). Il est pratiquement le seul spécialiste dans le domaine religieux, quoique, de temps à autre, l’on trouve aussi des mo plóng (plóng = guérir quelqu’un avec des incantations) ou kuru (du sanskrite guru) qu’on pourrait rendre par « spécialiste des formules magiques ». Parfois, ils est appelé aussi mo mơon – mơon = ramơon (du sanskrit mantra), signifiant « formule magique » [29] .

Bien que la fonction des deux spécialistes soit la guérison, il existe une différence fondamentale entre eux. Les mo plóng interviennent dans des cas mineurs de maux physiques (coupures, blessures, fractures, maladies de peau etc.) lorsque la maladie est due à une cause jugée plus ou moins naturelle. Ils peuvent utiliser des simples et assurer des soins médicaux, mais ils soignent avant tout par la récitation de formules magiques et surtout, ne savent pas yao.

L’essentiel de l’activité des chamanes, par contre, est précisément ce yao dont la signification est, répétons le, « chanter des airs chamaniques ». Ils entrent en contact avec le monde des génies grâce à leur esprits auxiliaires. Ils interviennent toujours en cas de maladies graves, de longue durée, dont la cause est due à une intervention surnaturelle. Ils connaissent également des incantations, des plantes médicinales et assurent des soins médicaux, mais leur travail est avant tout de servir d’intermédiaires entre le monde des humains et celui des génies: apprendre par divination la cause des maladies, déterminer la nature du sacrifice à faire et le présenter, rechercher et ramener l’âme perdue d’un individu etc.

Selon la conception brou, la grande majorité des maladies est liée à l’action maléfique des génies. Aussi, y-a-t-il beaucoup plus de mo yao que de mo plóng et l’activité de ces derniers paraît négligable. Il est naturel que, dans ces conditions, le chamane soit considéré comme « l’ami des humains ».

La fonction unique du chamane brou est donc thérapeutique. Ce n’est pas un prêtre, au sens où il n’intervient jamais dans un rituel non lié à la maladie. Certes, dans ces cas-là, il ne joue pas seulement le rôle d’un thérapeute, mais également celui de « prêtre » (en offrant les sacrifices dans ses chants aux divinités) ; cependant, ainsi que nous l’avons exprimé, la majorité des rites n’est pas de nature thérapeutique.

Le métier du chamane résulte d’une vocation; et fait intervenir, conformément au modèle canonique, la notion de « maladie initiatique ». Dans la plupart des cas elle intervient encore pendant l’enfance et prend la forme d’une « crise de folie » (a-ĩ yúh). Les symptômes en sont les suivants: l’enfant – ou le jeune homme – perd son identité, il émet des propos incohérents (tambĩ -tamba = « n’importe quoi », « bêtise »), menace verbalement et physiquement ses parents et son entourage, casse et jette tout ce qu’il trouve dans la maison au point qu’il est nécessaire de l’attacher. Dans les cas les plus graves, il peut même fuir dans la forêt pendant plusieurs jours sans boire ni manger, pour en revenir, enfin, complètement épuisé.

Cette crise (comme toute maladie grave) est considérée comme un signe venant du monde des génies. On invite alors le chamane qui organise une séance divinatoire (seang) pour en trouver la cause. La raison probable sera qu’un de ses ancêtres, jadis chamane, est « revenu en lui » [30] en le rendant malade. La maladie et le métier sont donc, en ce sens, « hériditaires », puisque les deux se transmettent selon une ligne familiale. Cependant cette descendance n’est pas continue ou linéaire. Des générations complètes peuvent manquer et l’ancêtre apparaître comme un oncle maternel ou un autre collatéral. On dirait donc que, tout comme la maladie se transmet selon une ligne génétique incalculable, le métier, lui aussi est imprévisible et relève plutôt d’une vocation.

Cette vocation est d’autant plus affirmée que l’individu n’est pas obligatoirement tenu d’obéir au choix de son ancêtre. Dans un premier temps et selon la procédure habituelle lors de toute maladie, le malade fait un voeu, le signe visible duquel est un « ex-voto » qui prend soit la forme concrète d’un modèle réduit d’autel chamanique ou de quelque chose qui le symbolise, soit celle d’une simple promesse récitée avec des formules traditionnelles, face aux autels domestiques (plus précisément à son autel de Chiet). Si la guérison s’effectue, la divination était juste. Dans ce cas il y a fort à parier qu’au terme d’une période plus ou moins longue de latence, le malade, ressentant la vocation, deviendra chamane et apprendra les techniques liées à cette fonction.

L’apprentissage, rémunéré selon l’usage, se fait toujours avec un autre chamane, un maître, kuru. Il s’agit alors bien plutôt d’apprendre des formules ésotériques que des chants ou des procédés chamaniques que tous le monde connaît plus ou moins pour les avoir observées lors de multiples séances chamaniques [31]. Par ailleurs, l’une des phases les plus importantes de l’initiation intervient lorsque le chamane-maître « fait descendre » (aseng) l’esprit auxiliaire du nouveau chamane. En effet, à partir du moment où l’ancêtre est « revenu » en lui, et l’a rendu malade pour l’élire en vue de sa future fonction, il devient l’esprit auxiliaire (prah) de ce dernier. L’apprenti-chamane a donc quelque chose de plus « en lui » et c’est précisément ce ‘plus’ qui le sépare des humains ordinaires. Posséder un prah est une condition essentielle pour devenir chamane [32]. Cependant, le fait qu’on en ait un, ne signifie pas nécessairement qu’on le devienne, car il faut encore savoir se servir de ce prah. Et pour s’en servir, il faut le « faire descendre ».

Comme pour tous les génies, on construit à cette fin un autel. Quoique cet autel chamanique symbolise également une maison dans laquelle le prah habite, sa forme diffère de celle des autres autels domestiques et rappelle ceux construits pour les « divinités de la nature » dans les sanctuaires autour du village. La similitude de forme est soulignée par le nom vernaculaire, prông, commun aux deux. La raison en est claire: puisque le prah est un ancêtre « récent » qui ne s’est pas encore transformé en Kaneaq et qui, par conséquent, vit autour du tombeau et de « la maison des chaumes » dans la brousse, il est évident que son autel indique cette situation. C’est de la brousse qu’il revient pour renaître dans le futur chamane et c’est précisément le fait qui le met à l’écart des divinités de la maison.

L’autel ] est dressé sur le plancher de l’habitation et il est soutenu par quatre tiges de bambou, comme par des piliers. Le quart supérieur représente la maisonnette usuelle, dont la forme est une variante encore plus élaborée de celles des divinités domestiques « mangeant du buffle ». C’est surtout les planches décoratives, peintes et sculptées surmontant les tubes et tiges de bambou qui l’en distinguent. De plus, l’autel est décoré avec des figures tressées en lamelles de bambou ou faites en bois qui symbolisent l’activité du chamane et ses accessoires. Sont ainsi figurés des oiseaux, des chevaux, et des barques, c’est-à-dire des moyens de transport aérien, terrestre et aquatique . A cela s’ajoutent des coiffes, des tambours, un arc avec une flèche, et des boucliers qui sont les accessoires et les armes du chamane ; ainsi que d’autres ornements symboliques comme des poissons, des pots métalliques, des cigales arrangées en ligne ou en carré et des nids d’abeilles . Tout cela est disposé par paires (sauf l’arc) et est inséré en haut dans l’intérieur creux des tubes de bambou. Près des pieds de l’autel se trouvent encore un soleil, un mơatlien (le taleo laotien) [33] et un cheval en bois .

C’est donc dans cet autel que le prah réside, et qu’il faut le faire descendre à l’intention du novice. Et c’est d’ici que le chamane l’appellera chaque fois qu’il entreprendra son travail lequel, selon la conception brou, est effectué par le prah. Pendant la séance, le chamane l’invite dans son corps et une fois « possédé », il l’envoie dans le monde surnaturel, en lui donnant différents ordres à exécuter. A la fin de la cérémonie, le prah retourne à son autel pour y résider jusqu’à ce qu’on l’appelle de nouveau.

Quant au dispositif du chamane [34], à part son autel il faut mentionner brievèment sa coiffe et son klie, le plateau d’accessoires nécessaire à la séance. La coiffe consiste en un anneau de fils de coton blanc tressés, dans lequel on cache des charmes magiques protégeant le chamane. A l’arrière de la coiffe trois nattes pendent, sur lesquelles une multitude d’objets sont accrochés. Ces objets à sa disposition constituent en quelque sorte son « armée » qui le protège lors de ses rencontres avec les représentants du monde surnaturel. En principe, tout chamane possède une telle coiffe qu’il emmène toujours avec lui, ainsi que d’autres accessoires comme le sabre, des dents de tigre, un peu de cire à bougies, etc.

Le klie est, par contre, toujours préparé sur place. Il est fait d’éléments divers. Une partie est apportée par le chamane, une autre est donnée par le maître de la maison et le tout est toujours assemblé par le liam, l’assistant du chamane [35]. Sur ce plateau se trouve toujours un grand bol en porcelaine contenant jusqu’à ras-bord du riz décortiqué, non cuit. On y installe au milieu un oeuf non cuit, autour duquel sont placées quatre dents de tigre, quatre objets en forme d’entonnoir faits de feuilles de jacquier enroulées, une bougie en forme de croix et un objet tressé en lamelles de bambou. Sur le plateau on ajoute encore un autre bol en porcelaine contenant un poulet entier cuit, destiné au prah du chamane. On y dépose également le sabre, la coiffe et l’éventail du chamane, une bouteille d’alcool et des plantes magiques qui serviront pour la purification des autels et des participants.

Un des traits les plus caractéristiques du chamanisme brou est que l’officiant entretient une relation continue avec le monde surnaturel par le biais de divinations. Les formes en sont multiples. Les trois types les plus courants sont faits avec du riz, de l’oeuf et du sabre. Le procédé le plus automatique est celui réalisé au moyen de riz. On en prend une pincée du klie et on compte le nombre des grains qui se trouve sur le bord du plateau. S’il est pair, la réponse est positive. Si le nombre est impair, la réponse est négative.

La réalisation d’un équilibre est aux centre des deux autres procédures. On prend l’oeuf du klie, et on le place verticalement sur le rebord du plateau. Si l’oeuf reste debout et ne tombe pas, la réponse est positive . Quant à la divination avec le sabre, elle est très similaire. On dresse verticalement celui-ci, la pointe dans le riz du klie. S’il reste debout, la réponse est positive .

Notre but n’est pas d’énumérer ici les multiples formes de divination, attestées chez les Brou, mais plutôt de remarquer qu’elles sont moins des procédés de divination au vrai sens du terme, que des techniques pour obtenir à tout prix une réponse positive. Qu’elles procèdent par « pile ou face » ou relèvent de la prestidigitation, elles sont automatiquement répétés jusqu’à ce que la réponse voulue soit obtenue.

Le temps liturgique

L’espace rituel et ses agents ayant été installés, tournons maintenant notre attention vers le temps liturgique, propre au rite « d’allongement de la vie humaine » auquel nous avons assisté. Il a eu lieu le 15 février 1988, au village de Hoong (canton de Huong Linh, district de Huong Hoa [Khe Sanh] , province de Bin Tri Thien). Le « sacrifiant », maître de la maison pour qui le rituel est accompli, achuaih [36] Hon est un homme âgé d’environ 65/70 ans . Il vit avec sa femme et la fille de cette dernière, issue d’un premier mariage. Ses fils sont tous mariés et vivent au Laos où ils furent évacués pendant la guerre du Vietnam et où ils ont choisi de rester. Au contraire achuaih Hon est revenu au Vietnam avec les autres membres du village, et représente donc désormais seul son lignage.

La raison du rituel est qu’il y a cinq ans, sa vie fut allongée une première fois. A partir de ce moment, la personne étant considérée comme « malade », il faut répéter le rituel périodiquement, « tous les cinq ans ». Bien que planifié depuis longtemps, ce dernier a été organisé d’une manière improvisée. Ce jour là, mpơaq [37] Lam , le chamane du village lointain de Kreng, qui avait prolongé la vie de achuaih Hon pour la première fois, était en visite à Xalo, près de Hoong. Pour s’épargner deux jours de marche dans le but d’inviter le chamane, achuaih Hon a décidé d’organiser brusquement le rituel. Il en résultait deux inconvénients: tout d’abord, contrairement à l’usage, il fallait le faire durant le jour. Ensuite, il n’avait pas le temps d’inviter ses fils et parents proches vivant au Laos et dans d’autres villages. Comme nous le verrons, cette précipitation sera sanctionnée.

Les préliminaires du rituel

Il est dix heures du matin. Comme toute cérémonie, celle-là commence par une prière récitée avant l’immolation des animaux. Accroupi dans l’entrée de sa maison, face aux animaux étalés dans leurs cases, ou tenu par des jeunes garçons sur la véranda, achuaih Hon, le maître de la maison récite la prière à haute voix . De temps à autre, il jette des grains de riz cru décortiqué, sur les animaux et invite ainsi les yĩang à venir. Dans sa prière, il informe les yĩang sur le déroulement de la cérémonie et les animaux qui seront sacrifiés suivant les yĩang auxquels ils s’adressent. Cette prière (saraiq) est obligatoire: les yĩang n’acceptent que des animaux vivants, entiers, immolés spécialement pour eux. Et si cette information manque, comment pourraient-ils être sûr que ce ne sont pas des restes de nourriture humaine? Cette séquence introductive a toujours lieu bien avant le rite proprement dit et ne dure que quelques minutes. Elle est suivie de l’immolation des animaux qui seront ébouillantés, déplumés, vidés, et cuits par les jeunes garçons du village.

La cuisson consiste essentiellement à bouillir la viande dans l’eau sans assaisonnement. Puisque l’animal doit rester entier, les poulets ne sont jamais dépecés ou coupés. De surcroît, on doit les présenter sur les plateaux d’offrandes d’une manière spéciale: la tête est tirée en arrière et retenue par les ailes croisées devant elle comme si l’animal était vivant. Toutefois, les animaux plus grands (porc, chèvre et buffle) doivent être coupés pour pouvoir être bouillis. Dans ces cas-là, on s’efforce également de garder l’animal « entier »: la tête, les quatres pattes (ou les cuisses entières) et la queue, c’est-à-dire les extrémités symbolisant l’animal dans sa totalité, sont placées sur deux plateaux ou plus. Le reste de la viande est ajouté sur d’autres plateaux, coupé en petits morceaux. Quand le rituel est terminé, on retire tout des plateaux et l’on coupe la viande d’avantage ou bien l’on prépare une sorte de hachis (liap) [38]. Ensuite tout sera fortement assaisonné avec du sel et du piment rouge.

La cuisson est encore loin d’être terminée quand achuaih Hon effectue une deuxième prière liminaire (kuap = informer; ou atỡng yĩang = expliquer au yĩang). Il se met debout devant ses autels domestiques: dans ce cas, là où ces autels auraient dû être puisque, contrairement à l’usage habituel, il avait transmis le « contrôle » des divinités lignagères à son fils, dans la maison duquel se trouvaient les autels. Alors, il informe à nouveau les yĩang, mais cette fois pour signaler le début du rituel. Nous sommes encore peu nombreux: le chamane et son assistant (liam), le maître de la maison et sa famille, tous occupés d’ailleurs dans la cuisine avec les préparatifs. Ce n’est pas seulement l’heure un peu inhabituelle et l’organisation improvisée qui en sont la cause. Le début du rituel n’attire jamais beaucoup de personnes hors du cercle familial. Le rythme lent et l’atmosphère privée de l’événement se dissipent avec le temps quand, au fur et à mesure, de plus en plus de personnes arrivent et que les événements s’accélérent. Le rite culmine à la fin avec un repas copieux pris en commun [39].

Maintenant achuaih Hon s’addresse à mpơaq Lam, le chamane. Les mains jointes, selon un geste cérémoniel, il lui demande de commencer le rituel. Il sollicite en même temps « ses coutumes » [40]. La raison de cette requête formelle met en évidence les divergences coutumières des différents lignages, les chamanes y appartenant pouvant également avoir des pratiques spécifiques. Il va de soi, bien entendu, que tout est préalablement fixé: ce que le chamane va faire, avec quelle méthode, et pour quelle rémunération. Cependant, il convient de préciser le moindre détail une fois encore, avant d’entreprendre le travail. C’est à ce moment là que le chamane est informé par le maître de la maison du type et du nombre des génies à inviter, ou encore de l’ordre des différents autels et des plateaux.

Le chamane se met à l’oeuvre. Accroupi face à son padiên klie (padiên = plateau en bronze ou en vannerie, pour servir le riz cuit; padiên klie = le plateau sur lequel son klie est placé) préparé auparavant par son assistant, il verse de l’alcool de riz dans un bol. Plongeant l’extrémité de son éventail dans l’alcool et décrivant de cercles à la surface du liquide [41], il récite une longue prière (pie blắng; pie/panie = brin de paille, tige végétale; blắng = alcool) dans laquelle il informe son prah et l’invite à venir sur place. En effet, comme nous l’avons dit, le prah résidant dans l’autel [42] ne part pas avec le chamane. Il reste à la maison et attend d’être convoqué sur place pour « travailler ». Cette prière, comme d’habitude, est récitée en deux langues: d’abord en Phu Tai, une langue proche du Lao, puis en Brou [43].

Ensuite, on va « chiquer du bétel » . Avec des gestes cérémoniels, le chamane invite tout le monde à en prendre suivant l’ordre hiérarchique: d’abord les plus âgés, les chefs ou les représentants des différents groups sociaux (lignages, donneurs et preneurs de femmes) et les « collègues-chamanes » présents, puis le reste des participants selon leur âges respectifs. Il ouvre son éventail et l’utilisant comme un plateau d’offrande, il y dépose un bol, avec à l’intérieur des accessoires pour la chique du bétel: feuilles de bétel enduites de poudre de chaux calciné et de morceaux d’écorce d’un arbre de la forêt. Il y rajoute un petit bol plein d’alcool. Accroupi, puis se prosternant, il présente le « bétel » à la personne en question invitée en face de lui. Celle-ci ôte son couvre-chef, prend l’éventail entre son index et son médius et se penchant elle aussi, de son côté, puis récite une prière dans laquelle elle souhaite à achuaih Hon (considéré comme « malade ») et à sa famille guérison, longévité, abondance et richesse. Ensuite elle vide le bol d’alcool. Le nom de cette partie du rituel est « chiquer du bétel » [44]. Et tout comme autrefois cette opération était l’adjuvent de la vie publique, on invite maintenant les génies et les participants à en faire autant symboliquement. Bétel et alcool sont servis en même temps et dans le même bol, mais seul l’alcool est consommé. Cependant, la désignation vernaculaire conserve la trace de l’ancien usage et montre clairement qu’il s’agit ici du résultat d’un changement culturel: le bétel est en train de disparaître au profit de l’alcool [45].

Yao liao [46]

La chique de bétel terminée, mpơaq Lam met sa coiffe. Ainsi armé contre les pouvoirs maléfiques, il peut procéder à son travail, et retourne vers son plateau contenant les accessoirs. La séance proprement dite commence. Tout en s’éventant lentement, il se met à chanter. Ce chant introductif est d’habitude en langue phu tai, chant qu’accompagne son assistant sur la clarinette idioglotte (pĩ). Comme tout à l’heure dans la prière, il invite, par son chant, le prah à venir entrer dans son corps. Quelques minutes passent ainsi. Soudain, il se met à trembler pendant quelques secondes. Le prah est arrivé. A partir de ce moment c’est lui qui sera censé parler à travers le chamane.

Le moment de l’arrivée du prah marque le début d’un changement dans les rôles. Le chamane « joue » le rôle du prah tandis que le liam, son assistant joue celui du chamane. Le chant s’arrête et un dialogue animé a lieu entre les deux personnages. La première question, habituelle, est: « Vous m’invitez pour faire quoi? » [47], et dans la réponse on lui expose les circonstances et le problème à résoudre. De nombreuses autres questions suivent afin de savoir si tout a été dûment préparé, s’il y a assez de nourritures et de boissons, si on peut vraiment procéder à l’invitation des génies. Puis ce sera au prah à faire le travail.

On commence, avant tout, par une séance de divination (seang). Comme dans le cas d’une maladie grave pour laquelle le chamane est appelé sur place, et quand il commence par une divination pour trouver la cause de la maladie, cette fois aussi, on commence par cette partie introductive dont tout le reste découle. Mpơaq Lam envoie donc son prah pour « examiner le destin d’achuaih Hon » (seang tâng anhuq achuaih Hon), pour regarder « si son âme est encore dans son corps ou si elle l’a quitté déjà et s’est dirigée ‘en haut’ », c’est-à-dire si sa mort est proche ou non.

Ce seang consiste essentiellement à faire de nombreuses divinations soutenues par un chant spécial en phu tai, avec l’accompagnement de la clarinette idioglotte de l’assistant. Parmi les nombreux procédés divinatoires possibles, mpơaq Lam en choisit deux. Il prend une pincée de riz du klie et en compte les grains sur le rebord de son « plateau ». Pour avoir une réponse définitive, on pose la même question plusieurs fois et l’on accepte seulement les réponses univoques. Puis vient l’autre technique. Le chamane jette une pincée de riz sur l’oeuf dans le klie. Si un grain y reste « collé » et ne tombe pas, la réponse est positive. Elle l’est d’autant plus si « l’oeil du riz », c’est-à-dire l’endroit du grain par où la future plante va germer, est tourné vers le chamane.

Après quinze à vingt minutes de seang, le chamane ôte sa coiffe: signe de la fin d’une partie de la séance. Il fait une halte. Les mains jointes, il explique le résultat de son seang à achuaih Hon et aux autres participants: « le ruviye d’achuaih Hon ne veut pas encore partir, ne veut pas aller en haut et mourir ». C’est un présage favorable. Selon la coutume, on lui offre maintenant un poulet entier, du riz gluant, une bouteille d’alcool ; elle exige aussi qu’il soit réticent à l’accepter [48]. Il partage tout avec ceux qui sont présents.

Les préparatifs

Pendant le repas, les préparatifs se poursuivent dans la cuisine. Vers midi la viande est cuite et l’on prépare les plateaux d’offrandes. Comme nous l’avons dit, leur nombre et l’espèce animale immolé varient en fonction des autels du haut et des génies à « nourrir ». Achuaih Hon est une personne pauvre. Il n’a pas assez d’animaux pour le rituel. Aussi, gràce à quelques tours d’adresse, on résout le problème. On ne fait pas inviter tous les génies par le chamane. D’abord achuaih Hon réalise un ntơăng pour quelques divinités. Puis, en ré-arrangeant les mêmes plateaux avec les mêmes animaux, le chamane invite, dans son yao, le reste des génies. Y-a-t-il une preuve plus éloquente de la différence hiérarchique séparant ces deux types génériques de rituel?

On prépare donc d’abord deux plateaux. Le premier, avec deux poulets, du riz et de l’eau, est destiné à Kaneaq. Le deuxième est divisé en deux parties. Les trois poulets qu’il contient sont destinés, d’une part au Chiet Tatơam Bar d’achuaih Hon (un poulet), d’autre part à son Yĩang tễ dống kuya/nuaq (deux poulets).

Vers treize heures, achuaih Hon commence à réciter les prières devant ces deux plateaux. Fait rare, de mauvais augures se présentent : les baguettes divinatoires ne tombent pas bien. Les génies n’acceptent pas la nourriture! Achuaih Hon les jette, de plus en plus excité et courroucé. Il s’efforce d’obtenir la réponse positive même en injuriant ses baguettes et les génies, mais réussit seulement après de longues minutes... Sitôt reçue la première réponse affirmative, il s’arrète avec une formule de remerciement kô-kốh, prononcée à haute voix. Il ne risque pas une nouvelle réponse négative ; et préfère ne pas continuer les formules multiples et interminables de prières. Bien plus tard encore, il se met en colère: « comment se peut-il que les yĩang ne veuillent pas venir? Qu’ont-ils contre lui? Qu’est ce qui ne va pas? »

En fin de compte, il trace un trait sur l’affaire. Après tout, il a reçu la réponse positive. On ré-arrange les plateaux au nombre de quatre et l’on entreprend les préparatifs pour le yao du chamane. Le porcelet sur le premier est pour les Chiet Aruông de la femme et de la fille d’achuaih Hon. Un poulet sur le deuxième est destiné à Yĩang Yar, un génie spécial de la femme d’achuaih Hon. (Ce yĩang provient originellement de la brousse, mais peut devenir dans certaines conditions un yĩang de la maison). Le troisième plateau contient un énorme cochon et représente celui du « rappel de l’âme ». Le quatrième, avec un porcelet, est destiné à « l’allongement de la vie d’achuaih Hon ».

Ensuite, achuaih Hon sort une liane enroulée symbolisant « la longueur de sa vie » [49]. Elle avait été réalisée, il y a cinq ans. A cette époque, c’est à l’aide de cette dernière qu’on avait mesuré la brasse [50] du vieil homme à l’aide de cette dernière. Depuis, elle est restée accrochée sous l’autel de Chiet Tatơam Bar d’achuaih Hon, et reste « valide » pendant cinq ans. Maintenant, on va mesurer de nouveau la longeur de sa brasse avec une autre liane. Si l’ancienne est plus longue que la nouvelle, achuaih Hon va vivre longtemps. Si, par contre, la nouvelle est plus longue, sa mort est proche. Cette forme de divination, appelée « seang tâng anhuq » (« divination concernant la destinée ») est l’un des points culminants du rite.

La divination par la liane-brasse en Asie du Sud-Est

Nous devons introduire ici quelques explications. Dans la littérature sur les populations montagnardes de l’Indochine cette forme de divination n’est pas inconnue. En 1941 un administrateur-adjoint des services civils de l’Indochine, J. Kerrest, l’a décrite chez les Jörai et les Rhadé de la région de Banméthuôt comme étant le moyen de divination le plus répandu. Une source plus récent est J. Dournes (1977: 229). Dans une note sur un sujet tout à fait différent, ce dernier la mentionne également, confirmant ainsi la description de Kerrest. Cette méthode de divination n’est pas limitée aux seuls Montagnards du Vietnam, mais elle existe aussi chez des Thai des plaines, ainsi qu’en attestent une photo (1984: 231) et une brève description dans Davis (1984: 155).

Le procédé est appelé epa gié en rhadé et topa gai en jörai et signifie « mesurer le bâton avec la brasse » [51]. Selon Kerrest, ce procédé « consiste à interroger [...] le génie du Bâton, Yang Giê, par l’intermédiaire d’un officiant, qui, après chaque question, mesure sa brasse sur un bâton préalablement étalonné à cette longueur, dans un geste qui rappelle celui d’un commis drapier débitant sa marchandise [...] Sous l’influence du Génie, les muscles contractés de l’officiant entré en transe, rendent impossible une complète extension des bras et permettent ainsi, dans le mesure de la brasse sur le Bâton étalonné, des variations très sensibles interprétées par l’officiant comme autant de réponses de la divinité » (1941: 215).

D’après Kerrest, le bâton est étalonné de la manière suivante:

  1. il est plus court que la brasse de l’officiant de la longueur de deux phalanges du médius
  2. de plus, on pratique une entaille deux travers de doigt, en deça de cette extrémité et on enlève un anneau d’écorce. On « possède alors un Bâton qui a 12 à 13 centimètres de moins que la brasse normale » de l’officiant et « qui est prêt à être interrogé » (1941: 216).

Selon Dournes, l’étalonnement est juste le contraire de ce que Kerrest décrit: la tige de bambou étant plus long que la brasse, dont les différentes longueurs suivant la tension des bras seront marquées sur le bâton (1977: 229).

Ce procédé divinatoire est tellement répandu, selon Kerrest, chez les Jörai et les Rhadé que vers l’ âge de 17 au 18 ans « chacun s’essaye à interroger le bâton espérant que le Génie le choisira pour exprimer ses désirs » et ainsi « chaque village possède un ou plusieurs officiants dont la renommée s’étand parfois aux villages voisins » (1941: 216).

Les deux auteurs sont d’accord sur le fait que ce procédé de divination est a la portée de « tout le monde ». Néanmoins, pour résumer ce qui ressort des exemples concrets de Kerrest, devenir un officiant est quand même une question de vocation et conformément au modèle chamanique, la notion de « maladie initiatique » y est présente. Le « mesureur » est choisi par le Génie et avant de devenir officiant il « a des maux dans ses bras et tout son corps » et « sait ainsi que le Génie veut parler à travers lui » (1941: 216).

Toujours d’après Kerrest, la consultation du bâton peut se faire n’importe où, dans la maison comme en plein air, dans le village comme dans la forêt. On le consulte en toutes circonstances, là où il paraît nécessaire de connaître les intentions des divinités, c’est-à-dire lors d’un événement malheureux ou avant une entreprise. Selon l’auteur « les consultations les plus fréquentes, presque journalières dans un village rhadé, sont celles qui on trait à l’explication des rêves et à la découverte des causes toujours mystiques des maladies » (1941: 217). Ce qui est surprenant cependant, c’est que dans ces sociétés matrilinéaires et matrilocales, non seulement les « meusureurs » sont uniquement des hommes, mais seuls eux ont le privilège de poser des questions au bâton par l’intermédiaire de l’officiant. Si une femme veut en faire autant, elle doit recourir au truchement de son mari ou de son oncle maternel.

Pendant la consultation l’officiant prend le bâton dans sa main gauche, l’extrêmité du médius bien allongée coïncidant avec celle du bâton. Puis, avec sa main droite il projette une pincée de riz et, en même temps, scande une invocation : « Aussitôt, sens effort apparent, le devin fait glisser sa main droite sur le Bâton; le médius allongé a largement dépassé son extrémité ; c’est que le Génie n’a pas voulu répondre. On interroge à nouveau un autre Génie soupçonné de mauvaises intentions à l’égard de la famille. Alors la main du devin colle au Bâton, les muscles de ses bras et de ses épaules se gonflent sous l’effort, son buste tremble, ses doigts atteignent avec peine la marque qui entoure le Bâton : le Génie a parlé, il a répondu affirmativement à la question posée » (1941: 219).

Il est évident de ce qui vient d’être dit que nous avons affaire au même procédé de divination dans les deux cas, avec toutefois, des différences sensibles. Tout d’abord la transe, jugée essentielle par Kerrest à propos des Jörai et Rhadé, n’est pratiquement pas perceptible chez les Brou. Comparativement à la transe du chamane de ces derniers, celle de leur « mesureur » paraît faible, superficielle ou bien contrôlée [52]. Les autres différences ne sont pas aussi importantes. Dans un cas, c’est un procédé de divination extrêmement répandu, dans l’autre, très rare, il est lié à un type de rituel spécial ; chez les premiers il existe des spécialistes pour le faire, chez les seconds, c’est la personne concernée (c’est-à-dire celui dont la vie sera « allongée ») qui le fait ; dans un cas c’est un bâton qui sert comme étalon contre la brasse, dans l’autre on utilise deux lianes différentes qui doivent être de longueurs différentes. Mais le principe divinatoire est le même dans les deux cas.

Pour en revenir au rituel brou, on dépose les deux lianes, l’ancienne et la nouvelle sur le « plateau d’allongement de la vie humaine » au dessus de la tête du porcelet sacrificiel. Puis on attache un longue fil de coton à l’une des solives du grenier et on le tend jusqu’au même plateau . Rappelons que le grenier appartient, selon la conception brou, au monde céleste puisqu’il est au dessus du prang tơâr, la poutre horizontale au point de jonction de la toiture et du mur. Le fil qui sera allumé par le chamane, symbolise le chemin de « l’âme », du ruviye. S’il brûle jusque la fin sans s’éteindre à mi-chemin, c’est un signe positif. Le ruviye ne quittera pas le corps d’achuaih Hon, faut d’avoir un chemin à suivre. S’il s’éteint avant la fin, c’est un signe négatif. Le chemin symbolique reliant Terre et Ciel n’est que partiellement détruit. Ainsi le ruviye pourra quitter le corps de l’individu. Une autre explication est également donnée. Le fil symbolise directement le ruviye. S’il brûle longtemps, il est « long »; s’il s’éteint, on le dit « court », et la mort proche. Les deux explications ne s’excluent pas mutuellement. En fait, elles signifient la même chose et le symbolisme en est clair même pour un étranger.

Le rituel se poursuit par une deuxième séquence consacrée à l’invitation des génies et à la consécration des offrandes. Le chamane récite de nouveau une prière sur une bouteille d’alcool de riz (pie blắng). Comme précédemment, il invite son prah à venir. Puis « on chique du bétel » encore une fois. Tout le monde à son tour récite une prière et vide le bol d’alcool.

Yao brou [53]

Ensuite mpơaq Lam se met à chanter. Cette deuxième partie est toujours en langue brou, sans l’accompagnement de clarinette idioglotte. Chamane et liam chantent à l’unisson: le chamane chante d’abord un couplet, puis son assistant en répète la première partie seul. Dans la deuxième partie de la répétition le chamane rejoint son assistant et ils finissent ensemble. Le chamane accompagne et accentue son chant par des battements d’éventail sur la terre. Cette première section est appelée kuap mah ka yĩang, « l’information adressée à tous les génies ». Son but est le même que celui de saraiq et kuap pendant les prières. Il est absolument nécessaire que les divinités soient au courant de tout ce qui se passe, pour qu’il sachent qu’il s’agit d’une offande faite spécialement pour elles, afin qu’elles « descendent » et acceptent le sacrifice.

Au début de la deuxième séquence mpơaq Lam remet sa coiffe. A partir de ce moment, pour pouvoir rencontrer les génies qui descendent, il a besoin d’une protection. D’abord il invite de nouveau son prah. La méthode est semblable à celle précédemment décrite, avec de légères différences. En plus de l’éventement, il bat d’une manière rythmique la terre avec sa main. Ce procédé (dont le but est, selon quelques rares indications de nos informateurs, de mener à l’altération des états de conscience) est utilisé non seulement pour l’invitation du prah, mais au cours de la séance toute entière, pendant l’invitation de tous les génies, durant de longues heures. Quand le prah arrive, la conversation entre chamane et aide, décrite plus haut, a lieu encore une fois. Puis, le prah invite les génies.

Avant de commencer, le chamane consacre l’offrande destinée à son esprit auxiliaire. Il embroche le poulet qui lui est destiné avec son sabre et, une fois l’offrande placée en haut, il pose ce dernier en équilibre, verticalement. Si le sabre reste debout, la réponse est positive, son prah accepte la viande et l’aidera dans son entreprise.

Il poursuit donc le rite par l’invitation successive à descendre de tous les génies. A partir de ce moment, la séance devient répétitive, les mêmes invocations et les mêmes gestes étant reproduit pour chaque divinité. Énumérons en les phases les plus importantes :

  1. le chamane jette une pincée de riz sur son éventail ; compte le nombre des grains. Si la réponse est positive, il peut procéder à la deuxième phase (si non, il répète jusqu’à ce qu’il obtienne la réponse affirmative).
  2. avec son éventail, il jette en l’air les grains et se met à chanter. En même temps, il s’évente lentement, puis s’agite de plus en plus.
  3. A un certain moment, il ferme son éventail et commence à battre la terre rythmiquement avec l’éventail fermé ou avec ses mains. Le rythme s’accelère encore plus.
  4. L’arrivée du génie convoqué est marquée par de vagues tremblements du corps du chamane et par un changement de la mélodie chantée.
  5. La divinité est honorée de cours d’amours – aujourd’hui désuets.
  6. On lui offre du « bétel », de l’alcool et de la nourriture: avec ses baguettes [54], le chamane lui montre son plateau et vide son bol d’alcool pour lui.
  7. Des divinations constantes indiquent si le génie les accepte, s’il en est satisfait et si, en retour, il est prêt à aider les humains.
  8. A la fin, quand il a tout mangé et bu, le chamane le renvoie « en haut ».

Cette partie, l’invitation aux yĩang, dure deux ou trois heures, avec des pauses à la fin de chaque section. Elle se termine quand tous les génies sont nourris et renvoyés.

Yao liao [55]

C’est alors qu’on recommence le yao liao, les chants en phu tai accompagnés de la clarinette idioglotte.

La maison est déja pleine, les participants s’animent de nouveau. On sent que l’on est proche du point culminant de la cérémonie: la divination avec les lianes symbolisant le destin d’achuaih Hon. Mpơaq Lam déroule les deux « brasses » et les mesure l’une sur l’autre solennellement. Les participants poussent un soupir. L’ancienne est plus longue que la nouvelle .

Alors le chamane prend une bougie et allume le fil de coton reliant la Terre et le Ciel. Il dirige la flamme vers le haut, avec des gestes larges, en chantant à haute voix. La flamme, d’abord lentement puis de plus en plus mobile, remonte jusqu’en haut. Quelques secondes plus tard, elle s’étent sur la solive du grenier. La joie est parfaite. Il semble que tout est en ordre.

Le rappel de l’âme

Suit alors la dernière partie de la séance, le « rappel de l’âme » [56]. Si la divination par la liane-brasse est pratiquée par d’autres populations d’Asie du Sud-Est, ce rite n’y est pas inconnu, non plus. Il existe au Laos, en Thaïlande et au Cambodge, sous différentes dénominations (Sou Khouan, Tham Khouan, Basi etc.) On le considère comme « la cérémonie par excellence Lao [...] mais cependant pas exclusivement laotienne, elle fait partie de tout le patrimoine t’ai. C’est un des traits qui relie entre elles les diverses populations et cultures t’ai, qu’elles soient ou non bouddhistes. De plus, des rites semblables se rencontrent parmi les peuples indonésiens ou proto-indochinois, ainsi que chez ceux du groupe chinois » (Zago, 1972: 131) [57].

Selon le même auteur, « en milieu Lao ce rite est pratiqué en toute circonstance de la vie, à chaque étape importante, à chaque transition. A l’occasion de la naissance, il est célébré pour la mère [...] et également pour le nouveau né. Il est renouvelé pour l’enfant à chaque anniversaire [...] Pour l’adolescent, il est pratiqué avant son entrée en pagode [...] ou avant de commencer l’école [58] [...] A l’occasion du mariage, il a lieu individuellement pour chacun des futurs conjoints [...] Dans la vie familiale, il est repris à chaque départ ou arrivée d’une de ses membres, à toutes promotion ou changement dans le travail et l’échelle sociale, à toute réussite inattendue...En cas de maladie ou d’accident, il est observé avec attention particulière, comme encore, en cas de violation d’une coutume familiale ou sociale. Le vieillard vénérable en est l’objet sous différentes formes [je souligne) (1972: 129-130) ».

Le rite se fonde sur la croyance en une multiplicité d’âmes (le plus souvent 32) qu’un être vivant possède, mais « qui ne tiennent pas étroitement au corps vivant; une surprise, une frayeur, un éternuement suffisent à en faire tomber quelques-unes, et cette perte se traduit généralement par un accès de fièvre » (1972: 136). La fonction de ces khouan consiste donc toujours à animer le corps, à maintenir en équilibre et porter bonheur à l’être humain. Si pour n’importe quelle raison un ou plusieurs de ces khouan manquent, il faut aller les « rechercher ». C’est le cas surtout lors d’une maladie quand « l’on estime que les Khouan ont abandonné le corps et l’on a coutume, afin qu’ils y retournent, de faire la cérémonie de l’invitation aux Khouan » (Zago, 1972 : 159).

L’essentiel de ce qui vient d’être dit est également valable pour les Brou, même si, chez ces derniers, le rite n’est pas, il s’en faut de beaucoup, aussi fréquent qu’il l’est chez les Lao, et si les Brou ne connaissent qu’un seul ruviye. Il est naturel donc, qu’à la fin de nombreux rites, y compris celui-ci, on finisse par le « rappel de l’âme ». C’est d’autant plus le cas, en la circonstance, qu’il s’agit d’un rite destiné à maintenir la longévité et le bonheur d’achuaih Hon : il est absolument nécessaire que son ruviye soit réintegré dans le corps.

On prépare donc activement cette dernière partie du rite. Le cochon de grande taille, d’environ 50-60 kilos est placé dans une hotte [59]. Un panier en bambou, contenant du riz gluant, y est ajouté avec une bouteille d’alcool de riz, le tout étant couvert par un beau tissu et attaché sur la pointe du sabre du chamane [60]. Mpơaq Lam renverse un petit bol en porcelaine, y met plusieurs pincées de riz, et posant la manche du sabre sur ce bol servant de piédestal, il essaie de placer le tout verticalement . Si le sabre reste debout et ne tombe pas, le ruviye est revenu dans le corps d’achuaih Hon. S’il ne reste pas debout, le ruviye a définitivement quitté le corps et la mort est proche.

Alors, l’inattendu survient. Les tentatives du chamane échouent : le sabre ne reste pas debout. L’atmosphère devient très vite tendue. Mpơaq Lam est en sueur. Les participants le regardent, l’haleine retenue. Un quart d’heure s’écoule ainsi. Soudain, achuaih Hon éclate en sanglots. Les participants pleurent avec lui. Pour une raison indéterminée, le ruviye ne veut pas revenir. Le chamane continue vainement. Et pourtant, en déposant le poulet de son prah sur la hotte, il l’offre au ruviye ainsi que d’autres cadeaux offerts spontanément par les participants. On veut amadouer le ruviye, lui faire entendre raison. Quand le briquet à gaz de l’ethnographe y est ajouté, il semble pendant quelques secondes, mais quelques secondes seulement, que le sabre reste debout. Mais tout est vain. Après environ vingt minutes d’essais infructueux, mpơaq Lam abandonne. Le sabre ne reste pas debout. L’exaspération est complète, tout le monde attend la mort proche d’achuaih Hon.

D’une manière générale, on donne deux sortes d’explications à l’échec. La raison la plus probable est que son fils n’est pas présent. A cause de l’organisation improvisée, achuaih Hon n’avait pas eu assez de temps pour l’inviter du Laos où il vit aujourd’hui. Or, dans la société strictement patrilinéaire des Brou, une jeune fille ne peut pas rappeler le ruviye de son père: l’échec est a priori probable.

L’autre explication relève d’un autre domaine, mais fait référence également à une faute. On se souvient que lors de l’invitation à Kaneaq, pendant un long moment les baguettes divinatoires ne tombaient pas bien. Ceci est une indication claire : achuaih Hon a commis une faute grave. En tant qu’homme le plus âgé de son lignage, c’est lui qui est considéré comme le maître de tous les génies du lignage, et qui devrait avoir l’autel de Kaneaq dans sa maison afin de nourrir les divinités personnifiant et symbolisant l’unité de son groupe. Or, pour une raison indéterminée, achuaih Hon a transmis tous ses autels à son fils qui, en plus, vit loin de là, au Laos. Il n’est pas étonnant alors que Kaneaq lui tienne rancoeur. Si achuaih Hon l’avait abandonné, il le quitte maintenant de la même manière. C’est à cause de cela qu’il ne veut pas accepter l’invitation. Et, en bonne logique, si Kaneaq l’a quitté, c’est qu’il est tout naturel que son ruviye souhaite le quitter de la sorte.

Il y a aussi une troisième explication. Selon le chef du village, celui des « maîtres de la terre », le problême tient à l’organisation improvisée et au fait quel n’étant pas averti de l’intention d’achuaih Hon, comme beaucoup d’autres, il est, lui aussi était arrivé avec un grand retard à la cérémonie.

Quoi qu’il en soit, le ruviye n’est pas revenu. Mais ce n’est pas par hasard que le chamane est considéré comme « ami des humains ». Il essaie tout naturellement d’extorquer une conclusion positive. Il recommence donc sa divination, mais cette fois avec un autre type de divination moins difficile et moins spectaculaire. Il jette des grains de riz sur l’oeuf dans le klie et, après quelques minutes, découvre que le ruviye est déjà revenu. Le moment pendant lequel le sabre était debout une fraction de seconde, l’a signalé. Le problème était celui de son interprétation...

La tension décroit, les sanglots cessent, l’espoir renaît. Chacun selon son tempérament et ses inclinations, avec scepticisme ou en essayant de se convaincre, discute l’événement avec force gestes. Peu à peu, tous s’inclinent devant le raisonnement du chamane. Néanmoins des informateurs m’expliquent, quelques jours plus tard, que mpơaq Lam a simplement « triché » pour que la conclusion du rite soit positive. Ils sont d’avis qu’achuaih Hon va mourir très prochainement [61].

Tout cela n’a guère d’importance. L’atmosphère a brusquement changé. La partie finale, la « fixation de l’âme » suit . La joie ne saurait être plus intense. On dépose un morceau de fil de coton sur le poignet du vieil homme, puis sur celui de tous les participants. Le chamane jette quelques grains de riz dans leur paumes ouvertes. Si leur nombre est pair, on attache le fil autour du poignet. Si le ruviye ne revient pas au premier essai, on ajoute un « cadeau » dans la paume : le foie du cochon, une boule de riz gluant, un beau tissu, peut être l’oeuf du klie ou même des dents de tigres du chamane. Tôt ou tard, la réponse sera positive. Alors on attache le fil avec de grands sourires.

L’acte peut-être le plus émouvant du rite marque en même temps la fin de la cérémonie. Les participants se réunissent autour du plateau de « rappel de l’âme ». Les mains sur la tête du cochon sacrificiel, il récitent une prière à haute voix avec le chamane, demandant le ruviye de « ne pas partir ». « Nous le retenons avec nos mains pour qu’il reste avec nous! » L’unité du groupe, la solidarité humaine pourraient difficilement être traduites plus éloquemment que dans cet acte de clôture. Le vieil homme pour qui le rite vient d’être célébré, sent et devine que les autres sont avec lui, qu’il leur appartient. Si lui a besoin d’eux, eux aussi, de leur côté, ont besoin de lui. C’est ainsi, en commun, qu’ils peuvent faire face aux difficultés de l’existence humaine.

Conclusion

A l’évidence, le rite présenté ci-dessus, réunit des pratiques, des notions et des schèmes connus également dans d’autres sociétés voisines, d’Asie du Sud-Est. Pour conclure, nous voudrions récapituler brièvement ressemblances et différences, afint de mieux situer notre rite par rapport aux pratiques analogues dans l’ensemble du sud-est-Asiatique.

En ce qui concerne la divination par la liane-brasse, répétons que c’est une méthode attestée, non seulement parmi les Montagnards des Chaînes Annamitiques (Brou, Rhadé, Jörai), mais aussi parmi les Thai (du Nord-Est) de Thaïland et les Lao du Laos [62]. Même si les descriptions n’abondent pas la concernant, elle semble être répandue, dans différents contextes, un peu partout en Asie du Sud-Est continental. Chez les Brou, elle n’est utilisée que dans le rituel « d’allongement de la vie » ; parmi les Rhadé et Jörai elle est la méthode la plus répandue de divination ; pour ce qui est des Thai, elle est mentionnée à propos des rites agraires : c’est pour choisir la site de la « micro-plantation » des rizières, c’est-à-dire le jardin-modèle contenant l’essence spirituelle de toutes les rizières, qu’on recourt à cette divination (Davis, 1984: 155). On se doute cependant qu’elle est également connue dans d’autres circonstances.

Pour ce qui est des différences, chez les Brou, et probablement aussi chez les Thai, c’est l’individu concerné qui accomplit la divination, alors que chez les Jörai et Rhade il existe un spécialiste, le devin « mesureur ». Sa transe est prononcée, tandis que celle des Brou, et probablement aussi des Thai, est négligeable [63]. Finalement chez les Brou deux lianes mesurées en deux différentes périodes de temps, comparées l’une à l’autre lors du rituel, servent d’outil de divination, alors que chez tous les autres populations un bâton/canne est utilisé dans le même but. Ces différences mises à part, le principe et le déroulement de la divination toujours sont identiques.

Tournons maintenant notre attention vers le « rappel de l’âme ». Nous avons vu qu’il s’agit de la cérémonie par excellence des peuples T’ai. Le cas Brou souligne cependant l’importance de la remarque de Zago: « des rites semblables se rencontrent parmi les peuples indonésiens ou proto-indochinois, ainsi que chez ceux du groupe chinois » (1972: 131) [souligné par moi]. Chez les Brou le « rappel de l’âme » n’est pas, tant s’en faut, un rite aussi fréquent et englobant que chez les peuples T’ai. En soi, on l’organise rarement [64]; d’habitude, il fait partie, et clôt d’autres cérémonies, organisées pour cause de maladies pour le Chiet de l’individu. De même, il est rare qu’on fasse le « rappel de l’âme » pour un objet inanimé, tel que la clarinette idioglotte, instrument de musique servant à accompagner les sanỡt, « mythes » chantés. Mais ceux-ci sont en revanche parties intégrantes du « rappel de l’âme » des individus. Le arô ruviye Brou est essentiellement une cérémonie chamanique (yao) [65], et nécessite donc la participation d’un spécialiste, le chamane, quoiqu’il existe de rares exceptions.

Quant à sa structure, c’est surtout avec le Sou Khouan Lao qu’il faut le comparer, ce dernier se prètant le mieux, pour des raisons tout à fait évidentes [66], pour une comparaison avec le Arô ruviye Brou. De ce point de vue, les deux cérémonies sont pratiquement identiques. Certes, en résumant toute la littérature précédente, Zago fait référence à une séquence quelque peu plus compliquée. Mais si l’on fait abstraction de tout ce qui relève de pratiques Bouddhiques, et de ce qui n’est pas la structure proprement dite [67], on est en présence d’une configuration tripartite : il s’agit

  1. d’ « appeler (riek) ou inviter (sun) les Khouan »
  2. de « recevoir (rab), recueillir (tak) ou prendre les Khouan »
  3. de « lier » (phouk) les Khouan – ces trois parties étant des sous-catégories indigènes de l’ensemble de Sou Khouan, nommées et conceptualisées comme telles par les Lao.

Il est intéressant de noter que le nom Brou (arô ruviye = « appeler, inviter » le ruviye) pour désigner le rite entier est exactement le même que le nom de la première partie du Sou Khouan Lao, cette dernière expression signifiant « chercher ou rencontrer les Khouan ».

Ces différences mises à part, la structure des deux séances est fondamentalement identique. La première partie du Sou Khouan Lao consiste en la « constatation que tout est prêt pour la cérémonie; invitation aux divinités afin qu’elles soient présentes pour appeler et, si nécessaire, prendre les Khouan; invitation à revenir adressée aux Khouan, avec tous les arguments susceptibles de les attirer, accompagnées d’attentions, promesses et, rarement, menaces; invitation à demeurer et souhaits de tout genre » (Zago, 1984: 149). La deuxième et troisième parties (« recevoir les Khouan » = offrandes aux Khouan et « ligature des Khouan » sur les poignets) se font en même temps. Dès que l’invitation aux Khouan est terminée, l’on considère que tous ont réintégré le corps. On place alors des offrandes dans la main de la personne en question et, après quelques gestes et formules de souhait, on lie les poignets. Le tout est suivi par un banquet (rite de communion) où tous, humains et khouan participent également.

Nous avons vu que tous ces éléments, dans le même ordre, sont présent dans le arô ruviye Brou. Dès lors, ils serait facile de suggérer qu’en fait, il s’agit d’un emprunt : les Brou auraient emprunter aux Lao le rite par excellence Lao/Thai – le rappel de l’âme. Quant à nous, nous ne croyons pas à cette explication simpliste. Il faut rappeler tout d’abord que ce rite, ou « de rites semblables » est/sont connu[s] des « peuples indonésiens ou proto-indochinois, ainsi que chez ceux du groupe chinois » – ces derniers étant les Hmong pour Zago. Si l’on ajoute à cette liste les Khmer (voir par exemple Porée-Maspéro, 1951) chez qui ce rite est largement répandu, et qui n’appartiennent pas à des peuples T’ai, de même que, si l’on songe aux renseignements épars et incomplèts dont la littérature sur les Montagnards abonde [68] et qui attestent de pratiques semblable chez de nombreux groupes montagnardes, une aire géographique beaucoup plus étendue que celle habitée par des peuples T’ai se dessine devant nos yeux. Nous sommes donc partisan d’une explication selon laquelle le rite Thai/Lao du rappel de l’âme serait un élément de leur religion pré-bouddhique partagé avec une grande nombre de populations d’Asie du Sud-Est, bouddhisées ou non-bouddhisées. La seule différence pour nous consiste dans le fait que chez les Lao/Thai ce rite a reçu une attention et une élaboration particulière et qu’il est devenu en quelque sorte l’expression de leur identité.

Quant au rite Brou de « l’allongement de la vie humaine », il semble combiner une téchnique de divination avec un rite spécifique, le « rappel de l’âme ». Comme nous l’avons vu, ces deux éléments sont connus de nombreux groupes ethniques du Sud-Est Asiatique et semblent appartenir au vieu fonds religieux de ces populations. Du Sou Khouan Lao qui « se pratique communément en cas de maladie et pour obtenir une prolongation de vie » (Zago, 1984: 153) [souligné par moi], il n’y a qu’un pas jusqu’au yao sớp anhuq Brou. L’originalité de ce rite Brou consiste justement en la combinaison de ces deux éléments pan-indochinois. Et c’est en les incorporant dans le schéma de leur séances chamaniques, en faisant un rite chamanique que les Brou ont su leur donner des caractéristiques typiquement Brou.

Cela nous conduit à deux questions finales : le rôle du cochon dans le rituel et la question de la divination dans les pratiques chamaniques des Brou. En ce qui concerne le premier, il est singulier que dans une région où l’animal le plus prestigieux du point de vu sacrificiel est le buffle, un autre animal puisse prendre sa place d’une manière constante. Or, dans le rappel de l’âme Brou c’est toujours un cochon de taille importante qui figure : il n’est jamais question de sacrifier un buffle ni, surtout, un poulet. Ce cochon est mentionné également par Zago, d’après qui au plateau d’offrandes aux Khouan « accessoirement, l’on ajoutera une tête de porc bouillie avec les entrailles » (1984: 148). La pratique semble donc exister également, même si sous une forme atténuée, parmi les Lao bouddhistes. Faudrait-il voir là une survivance? Serait-ce la trace d’une période durant laquelle, avant la domestication du buffle (ou son élévation au sommet de l’hiérarchie des animaux sacrificiels), le porc jouait un rôle plus grand dans les rituels? [69]

La deuxième question consiste en deux interrogations entrelacées, concernant la divination en général chez les Brou et la méthode spéciale de cette divination, grâce à un cochon entier balancé verticalement sur la pointe du sabre. Qu’il suffisse à signaler ici que l’un des traits les plus caractéristiques du chamanisme brou en général est le rôle prépondérant de la divination. Nous l’avons vu, à travers cette dernière, durant la séance chamanique, le praticien entretient un dialogue continu avec les représentants du monde divin : il est en constant contact avec eux. A chaque question posée, un acte divinatoire répond traduisant les réponses des divinités [70].

Ces divinations nous semblent traduire un comportement général vis-à-vis de la surnature qui pourrait être caractérisé par l’ambivalence ou le doute, ainsi que le dialogue. Il nous paraît notamment que chez les Brou la valeur performative des actes rituels est systématiquement remise en cause. Pour qu’elle soit établie, il faut en obtenir la preuve par des pratiques divinatoires. Mais des actes divinatoires, pris isolément, n’ont pas de valeur de preuve. Même quand une première réponse est positive, on cherche à la renforcer par d’autres indices du même ordre. Et la valeur de preuve est atteinte seulement lorsque concordent les résultats du complexe que les pratiques divinatoires forment par le biais du rite.

Ce rapport ambivalent et sceptique envers la surnature, traduit par le rôle prépondérant des pratiques divinatoires lors des rituels, ne nous paraît pas, au demeurant, être un comportement proprement Brou. C’est ce qui semble caractériser tout l’ensemble des Proto-Indochinois Montagnards du Sud-Est asiatique, si l’on en juge d’après de nombreuses données éparses dans la littérature. Pour ne citer qu’un exemple, les baguettes divinatoires, décrites par nous, sont répandues un peu partout en Asie du Sud-Est et servent toujours au même but : le maintien constant du dialogue avec les divinités lors d’un rituel [71]. Nous n’avons pas encore parlé d’autres moyens de divinations, également répandues, en quelque sorte à la portée de tous [72]. Tout cela semble confirmer notre remarque concernant le rôle de la divination comme signe d’un comportement ambivalent général vis-à-vis de la surnature.

Quant à la technique de divination la plus intriguante, la réalisation d’un équilibre verticale avec l’aide d’un sabre retourné, sur la pointe duquel entre autres un cochon entier est embroché, nous voudrions signaler que cette méthode existe également, exactement sous la même forme, dans des séances médiumniques [73] coréennes. Durant l’été 1991, nous avons pu, nous-même, participer à plusieurs cérémonies de kut à Seoul, dans lesquelles cette « épreuve de vérité » [74] apparaît toujours comme un élément récurrent. Or, il est frappant de voir que les cochons de taille énorme, embrochés sur le trident des mudang (« femmes chamanes » ou « médiums ») et balancés verticalement y jouent, comme dans les séances chamaniques brou, un rôle extrêmement important. Si l’on ajoute à cela d’autres méthodes de divination, connues également des Brou et des Coréens, comme par exemple le dénombrement des grains de riz, considérant le nombre pair comme un résultat positif, il résulte que les pratiques divinatoires des Brou s’inscrivent dans une pratique générale sud-est-asiatique dont l’aire géographique dépasse largement le cadre des populations montagnardes proto-indochinoises.

 

Annote

1 La première version de cet article a été préparé en 1992, pour un ouvrage collectif sur les rituels en Asie du Sud-Est, paru sous la rédaction de J. Lagerwey, comme numéro spécial de B.E.F.E.O, 1992. Pour des raisons personnelles, il ne m’était pas possible de finir le texte avant la date limite de la remise du numéro. Je saisis donc l’occasion pour publier ce manuscrit inédit et retravaillé depuis. Plusieurs personnes m’ont apporté une aide précieuse lors de la rédaction de cet article. B. Formoso, J. Galinier, J. Lagerwey et A. Zempléni ont lu le manuscrit et fait de nombreux remarques critiques, tant du point de vue du contenu que de celui du style. Qu’ils en soient chalereusement remerciés ici. De surcroît, B. Formoso a relu avec un soin particulier ce texte, du début jusqu’à la fin, tandis que J. Galinier a revu et corrigé le style des différentes versions du manuscrit.

2 Littéralement: yao = type générique de rituel, voir plus bas; sớp = porter; to = continuer, allonger; anhuq = vie; anhúq = destin. En « continuant » ou « portant » davantage sa vie, on « l’allonge ».

3 Le travail sur le terrain, 18 mois au total, a été effectué entre 1985-1989 aux villages de Coc et de Dong Cho (canton Huong Linh, district Huong Hoa, province de Bin Tri Thien). Pour des publications antérieures, voir G. Vargyas, 1993; Vargyas & alii, 1994/a; Vargyas, 1994/b; ID. 1994/c; 1995/a; 1995/b; 1996/a; 1996/b; 1996/c; 1997/a; 1997/b; 1997/c; 1998. La transcription des mots brou se base sur un système élaboré par J. D. et C. Miller (par exemple 1974), repris et légèrement modifié par des linguistes vietnamiens (voir Hoàng Tuê & alii, 1986) selon lequel [ch] = [t] palatalisé ; [q] = l’occlusion glottale ; [ơ] = [ø] et [ư] = [y] de l’Alphabet Phonétique International. Le signe ['] sur une voyelle marque la brièveté tandis que [~] un registre accentué.

4 Il s’agit de catégories indigènes.

5 Pour une position typique voir P.-B. Lafont, 1969 qui, dans un article généralisant sur les génies de la Péninsule Indochinoise maintient que « les génies sont légion et aucun humain ne peut se flatter de pouvoir en donner une énumération » et se réfère à l’index de son Prières Jörai (1963) où plus de deux cents génies sont énumérés.

6 Ruviye: composant non-matériel d’un individu qui n’a rien à avoir avec la notion chrétienne de l’âme. Néanmoins, pour simplifier, je garde la terminologie « âme ».

7 Pour les différentes formes d’autels voir [Figures 1-5].

8 Voir Archaimbault,Ch. 1973; Dang Nghiêm Van 1972; Ferlus,M. 1972; J.D.de Frayssinet 1949; Tschesnow,J.V. 1985, pp. 250-263 entre autres.

9 Les Brou forment une société patrilinéaire, avec résidence post-maritale patrilocale. Le « corporate group » est le patrilignage qui englobe hommes et femmes descendant de facto d’un ancêtre commun, et les femmes épousées par les hommes du lignage, ainsi que leurs enfants.

10 Littéralement: dống = maison; nsắk = brousse ou paille sèche (du riz); c’est-à-dire « la maison dans la brousse » ou « la maison de paille sèche ». L’image évoque donc en même temps le lieu où les morts habitent et la notion de la mort par dessèchement.

11 Pour un cas similaire, voir les duad-nit = « morts – dieu » à Tanebar-Evav (archipel Kei, Indonésie), étant « des morts en quelque sorte divinisés » des « donneurs de femmes » (C. Barraud, 1979: 164).

12 Baguettes divinatoires: une pièce de bambou de 7 à 10 centimètres de longueur, fendue suivant son axe longitudinal en deux morceaux concave/convexe. On jette ces baguettes par terre pendant les prières. Si elles tombent pile et face, c’est-à-dire les deux morceaux en sens inverse l’un à l’autre, la réponse est positive. S’ils tombent tourtes les deux sur leur parties concaves ou convexes, la réponse est négative. La réponse positive est donc obtenue quand l’entité originale est reproduite. Les baguettes sont gardées d’habitude dans une bannette tressée, accrochée sous les autels.

13 Dans la société brou, chaque mariage établit entre le patrilignage d’Ego et celui de sa femme, une khỡi - kuya relation. Kuya est un terme proprement brou, tandis que khỡi vient probablement du laotien où sa signification est « gendre ». Ces deux groups d’intermariage, « donneurs de femmes », kuya, et « preneurs de femmes », khỡi, jouent un rôle extrêmement important impreignant toute la vie sociale des Brou. Ils ont une importance surtout lors des mariages et des funérailles, ainsi que lors des rites périodiques funéraires, commémoratifs, quand un jeu délicat de prestations et de contre-prestations a lieu entre eux, dont les articles les plus importants sont des nattes, des tissues, de l’argent et de nourriture (poulet, porc ou buffle vivant ; du riz non cuit et alcool). Tout cela fera l’objet d’une future étude.

14 Voir la note précédente.

15 Pour un cas semblable, voir le rôle des duad-nit, dans l’archipel Kei (Indonésie), C. Barraud, 1990.

16 Pour un cas pareil de changement de nom du groupe des donneurs de femmes, suivant les générations, voir C. Barraud, 1990: 203. Tout ceci est en parfait concordence avec ce que L. Dumont a prouvé, notemment que les règles positives de mariage prêtent une dimension diachronique au mariage, dans laquelle l’affinité est transmise d’une génération à l’autre. Voir Dumont, 1975: 48.

17 Je remercie Ang Chouléan de cette information.

18 Je remercie B. Formoso de cette information. Il n’est donc pas exclu que la notion de kamnỡt accuse une influence bouddhique, quant à la nature de cette divinité et à l’idée de la renaissance.

19 Cette conception de la renaissance de l’âme préexistant n’est pas sans parallèle avec ce que M. Zago décrit chez les Lao. Là, « l’ensemble des trente-deux Khouan qui constituera le futur être, au terme d’un étape antérieur dans le cycle des existences au cours de laquelle il s’est rendu digne de prendre forme humaine, choisit lui-même ses propres parents et hante les alentours de la jarre d’eau de la maison élue » (1972: 210). Puis les Khouan s’insinuent dans les plis du sarong du père et pénètrent dans le sein maternel à l’occasion d’une union conjugale. En même temps, les Phi interviennent, eux aussi, d’une manière pas claire dans la formation de la personne. L’homme est donc le résultat chez les Lao, comme chez les Brou, de l’action des Khouan/ruviye ayant appartenu à un être préexistant et de l’influence venu du monde des génies.

20 Conférer avec aruông = type de nasse dont la forme rappelle un entonnoir. En ce qui concerne l’action jointe de l’âme préexistant et des divinités dans la naissance d’un ètre humain, B. Formoso me signale un fait important que je ne retrouve pas dans la littérature. Selon lui, chez les Lao, « dans le système de croyance pré-bouddhique, la me bao (mère-moule) façonne un moule céleste du corps dans lequel le nouveau-né va s’incarner, et les phii then interviennent de concert avec les me bao pour façonner les âmes des vivants ». Pour autant que je puisse le savoir, chez les Brou cette conception est inconnue. Toujours selon B. Formoso, les Lao bouddhisés établissent une confusion entre, d’une part la notion pré-bouddhique de me bao, de mère-moule qui pourrait correspondre à Chiet tatơam bar, et d’autre part, la notion bouddhique de pho me kamnỡt, « parents de la vie antérieure » qui s’est superposé à celle de me bao pré-bouddhique – ce pho me kamnỡt corresponderait à Chiet kamnỡt ; et enfin la notion, liée à l’astrologie indienne, des « mères » (matrka) et des devata à savoir des divinités planétaires qui viennent se saisir des enfants – qui corresponderait à Chiet aruông (lettre du 18. juillet 1992 écrit à G.V.). Ce raisonnement ne me paraît pas improbable, surtout quant à la me bao et pho me kamnỡt. Cependant, faute de données et de travaux préliminaires, il serait imprudent ici de se prononcer en faveur de l’une ou l’autre de ces hypothèses. Une chose semble néanmoins sûre, ne serait-ce que par l’origine externe des termes chiet et kamnỡt, les Brou ont pu adopter et adapter des notions étrangères.

21 Selon l’explication courante « jusque là on a un chiet, mais on ne le connaît pas ». Et quand j’ai radicalisé ma question, en ces termes : « si quelqu’un ne tombe jamais malade jusqu’à sa mort, a-t-il un chiet ou non? », la réponse futt « Y-a-t-il un être humaine sans maladie? » !

22 Éventuellement, dans des cas rares et spéciaux, il existe encore deux-trois autres génies qui apparaissent parmi les yĩang de la maison, que l’on écartera ici.

23 Ce résultat « durkheimien » nous a surpris, nous mêmes. Il faut ajouter cependant que dans ce système apparemment stable s’exprime quand même un certain dynamisme. Pris dans le temps, même Kaneaq change avec l’apport cyclique de nouvelles générations de morts.

24 Autel en bambou: forme primaire, anticipation de la forme finale, allant de pair avec une série de sacrifices progressives, de poulet et de cochon; autel en bois: forme finale – sacrifice du buffle.

25 Pour la simplicité des choses je prends comme exemple la maison d’un chef de lignage où se rencontrent tous les types d’autels. Cependant, de facto, la majorité des maisons n’ont pas tous ces autels, Kaneaq et Mantỗr Priang se trouvant, par exemple, toujours dans la maison d’un chef de lignage.

26 Il existe deux formes principales: bière de riz fermentée dans des jarres et bue à travers des chalumeaux; et alcool distillé à la maison ou acheté aux magasins, à Khe Sanh.

27 Pour le rituel de la jarre chez les Mnong, voir par exemple l’index analytique de G. Condominas, 1957.

28 Pour de telles prières, voir notre article (Vargyas & alii, 1994).

29 La notion de mo mơon est connu des Lao et d’autres groupes non-bouddhisés de Laos, mais selon Pottier, et à la différence des Brou, sa fonction coïncide avec celle de mo thevada, c’est-à-dire le mo yao Brou (Pottier, 1973). En énumérant les différents spécialistes religieux, Zago mentionne également plusieurs fois les mo mơon sans donner cependant une description détaillée de leurs fonctions. Ainsi, il mentionne qu’ils sont les « protecteurs de la société », « spécialistes de Mantra, formules efficaces capables d’opérer ce qu’elle expriment » (1972: 271); qu’ils sont des « mages qui peuvent chasser les influences maléfiques » (1972: 339). Mais ailleurs, il mentionne que même le mo muong des groupes T’ai Dam, T’ai Kho, et T’ai Nua ainsi que celui des Lao, peut être appelé mo mơon « à cause de la prière récitée à l’occasion du sacrifice annuel » (1972: 196). Ainsi il n’est pas sûr que l’homologie des mots signifie nécessairement l’homologie des deux notions ou fonctions.

30 Achuaih án chiet tâng án = littéralement « grand-père - lui - renaître - dans – lui »; ou encore achuaih án chu chú án = « grand-père - lui - retourner à la maison - chez – lui ».

31 « Tout le monde » – c’est-à-dire tous ceux qui s’y intéressent et écoutent les chamanes avec attention, ce qui est loin d’être le cas en général. Pour citer un souvenir personnel, un jour nous sommes partis dans la brousse avec quelques jeunes garçons du village. Soudainement, l’un d’eux s’est mis à chanter au grand amusement des autres: il les a diverti de passages d’une séance de « rappel de l’âme ». (Au village, d’ailleurs, ce serait une transgression grossière des règles normales de conduite, mais en brousse « tout » est permis.) A ma question surprise, ils m’ont confirmé qu’ils en connaissaient « tous » les textes et la musique, plus ou moins. Le jeune homme chantant était le « musicien » le plus doué du village qui connaissait pratiquement tout dans ce domain.

32 Pour plus de détails, voir notre article (Vargyas & alii, 1994).

33 Taleo = « oeil d’épervier », en laotien; étoile hexagonale en bambou tressé, avec un trou au milieu. Le taleo est un emblême d’interdit, universellement connu au Laos et en Thaïlande. Voir Anuman Rajadhon, 1967; Macdonald,A., 1957; Zago,M., 1972:213; Davis, 1984:157/Planche 14.

34 Sur les éléments et le symbolisme du dispositif du chamane un article spécial est en préparation. Aussi, je ne donne ici que les détails les plus importants, nécessaires à la compréhension de ce qui suit.

35 L’assistant du chamane, liam: tout homme connaissant les chants chamaniques, les réponses nécessaires à ses questions et le jeu sur le pĩ, une sorte de clarinette idioglotte, peut devenir assistant. Dans chaque village quelques personnes sont connues pour leur compétence comme assistants et peuvent être sollicitées. Ce n’est pas donc une tâche constante: d’habitude, le liam est choisi d’habitude sur place.

36 Achuaih = « grand-père » ou « vieil homme vénérable ». Achuaih Hon = « grand-père de Hon ». Selon la teknonymie habituelle on change son nom après la naissance de son premier enfant et l’on devient « père de X », puis, plus tard, « grand-père de Y », etc.

37 mpơaq = « père ». Voir la note précédente.

38 Le hachis de viande ou de poisson assaisonné est un plat typiquement laotien. Le nom brou (liap) venant du lap laotien rappelle clairement cette influence.

39 Pour un analyse du schéma général d’une séance chamanique, voir notre article (Vargyas, 1993).

40 „Sễq rit mo”. Sễq = demander; rit = coutume, usage, habitudes; mo = chamane.

41 Le but ou le sens de ce geste est probablement de rassembler les divinités dans l’alcool. Pour ouvrir une jarre, il y a toujours un rituel approprié (voir note 26; et également notre article Vargyas & alii, 1994) dont un élément important consiste à remuer en cercle, pendant la prière, avec un brin de paille ou un petit rameau, la surface de l’alcool. L’éventail joue ici exactement le même rôle.

42 En fait, comme chaque divinité, le prah habite en même temps « en haut » et dans l’autel – symbole de sa résidence céleste. Comme les textes chamaniques montrent, le mo yao invite son prah à « descendre ». Cf. Vargyas & alii, 1994.

43 Une des caractéristiques les plus frappantes du chamanisme brou est son contexte bilingue. Les séances sont commencées et terminées d’habitude en phu tai. Les Phu Tai, appelés par les Brou « Liao Karai » sont une population vivant dans le voisinage immédiat des Brou. Le chamanisme brou est profondément influencé par celui des Phu Tai et, selon tous les informateurs, est « originaire » du Laos. Pour le schéma « double », en langues phu tai et brou, d’une séance chamanique voir Vargyas, 1993; pour la traduction d’une partie d’une séance chamanique en Phu Tai, voir Vargyas & alii, 1994.

44 Cha panang labaq. Cha = manger, chiquer, utiliser; panang = palmier d’arec; labaq = bétel, feuilles de bétel. L’usage du bétel est largement répandu en Asie du Sud-Est, tant chez les Montagnards que chez les habitants de la plaine. La chique se compose de trois éléments constitutifs: un morceau de noix d’arec, Areca catechu ou des remplaçants (par exemple des écorces); des feuilles de bétel, Piper betle et de chaux. D’habitude un mot composé sert pour le désigner: voir traù-cau = ‘bétel-arec’ en vietnamien; sla-mlu = ‘arec-bétel’ en khmer; le panang-labaq = ‘arec-bétel’ brou entre dans cette série. Pour l’origine du mot panang, voir arec en malais = pinang, en jorai ponang, etc.; quant au labaq ou plus précisément sala labaq = ‘feuille + bétel’, le premier composant, sala, n’est pas étranger à la série hla-loha-là des différents dialectes austronésiens et surtout le sla khmer. Tout cela confirme le commentaire de J. Dournes selon lequel « les Austroasiatiques donnent au bétel un nom austronésien et les Austronésiens un nom austroasiatique » (Dournes 1973: 26). Cependant ni Dournes ni d’autres auteurs ne mentionnent l’usage symbolique du bétel.

45 Il y a aussi une autre possibilité qui me semble cependant moins probable, et sur laquelle B. Formoso a attiré mon attention: c’est que bétel et alcool sont deux éléments complémentaires d’une même tradition, l’un solide, l’autre liquide. Je m’en tiens cependant à la théorie indigène.

46 Cette terminologie vernaculaire identifie la première partie du rituel chamanique qui est chanté en langue phu tai accompagnée par la clarinette idioglotte (pĩ).

47 Ntrớu anhia arô kứ táq = littéralement « quoi-vous-inviter-moi-faire »?

48 Les chamanes sont les « protecteurs » de la société faisant leur métier par « amitié », selon l’idéologie brou – ce qui n’exclut pas le fait qu’il soient payés. Pour être exempt d’une accusation, toujours possible, selon laquelle ils feraient leur travail uniquement pour rémunération, étant avides de « manger toujours de la viande et boire beaucoup d’alcool », les chamanes préfèrent s’abstenir de manger pendant les séances prétendant qu’ils n’ont pas faim. Une bonne partie de la rémunération consiste cependant en nourriture (viande crue ou cuite, ou animal vivant) qu’ils consommeront à la maison.

49 „Achơang karái sớp anhuq”. Achơang = une brasse; karái = liane, rotang; sớp = porter; anhuq = vie humaine, destin.

50 La distance entre les deux bras écartés.

51 D’après Dournes la transcription correcte est töpa gei. Töpa = brasse, gei = tige de bambou.

52 Pour la question de la transe chez les Brou, voir notre article (Vargyas & alii, 1994). De toute façon, s’il n’y a pas de mot vernaculaire pour la désigner, certains chamanes sont néanmoins capables de formuler ce qu’ils ressentent comme une altération d’état de conscience. Cette légèreté de la transe chez les Brou, à l’inverse de ce qui se passe chez les Jorai et les Rhadé, est frappant. Ainsi, avant de connaître l’article de Kerrest, j’ai même essayé de trouver une explication raisonnée à cette divination, selon laquelle la vieillesse aurait causé une atrophie progressive du corps de l’individu, atrophie qui expliquerait que la liane antérieure soit plus longue que la nouvelle.

53 Cette terminologie vernaculaire identifie la partie chantée en langue brou, sans accompagnement de clarinette idioglotte (pĩ).

54 Autrefois, les Brou mangeaient avec leur mains. Récemment, sous l’influence vietnamienne, ils ont adopté la coutume de manger avec des baguettes.

55 Séquence consacrée à la divination avec la liane-brasse et la réduction par le feu du chemin de l’âme.

56 Arô ruviye; arô = appeler, inviter; ruviye = « âme ».

57 Pour plus de détails voir Chapitre IV. de M. Zago 1972; Anuman Rajadhon 1962; Porée-Maspero 1946; Inge-Heinze, 1988.

58 Selon B.Formoso le Sou Khwan pratiqué pour l’anniversaire des enfants est très rare, de même qu’avant d’entrer à l’école. Personellement, il ne l’a jamais observé en ces circonstances.

59 Souvent, on embroche l’animal entier cuit et coupé en quelques morceaux (tête, quatre cuisses, queu), sur la pointe du sabre.

60 Selon la règle tous les objets utilisés lors d’une cérémonie (hotte, panier et tissus etc.) sont propriété de la famille « maître de la maison », dans ce cas d’achuaih Hon. Ce qui compte cependant, ce n’est pas tellement que ce soit la propriété du patient, plutôt que cela vienne de sa maison.

61 Un an plus tard, en 1989, lors de mon dernier séjour parmis les Brou, achuaih Hon était encore vivant.

62 Selon Y.Goudineau, elle est également attestée parmi les populations Tau-Oi, Katang, Katu, etc. du Laos, vivant au sud des Brou. (Communication faite à l’EHESS, le 28. mai, 1996.) Étant donné que ces populations sont localisées entre les Brou d’une part, et les Jörai et les Rhadé d’autre part, cela signifie qu’il existe dans la chaîne Annamitique une zone continue dans laquelle cette méthode est répandue.
Selon B. Formoso, elle est également connue des Lao (communication orale).

63 En décrivant cette méthode de divination, Davis ne mentionne pas la transe et, de sa déscription, il apparaît clairement qu’il n’en a pas compris l’essentielle. Voir: „He then remeasures the stick several times [...] until the stick inexplicably extends beyond the fingertips of one of his outstretched hands. The plot at which the apparent expansion of the measuring stick occurs is the proper place for performing the first-planting” (Davis, 1984: 155) [souligné par moi].

64 Je n’en ai vu qu’un seul cas. Après avoir présidé à une ordalie durant laquelle la plus grande divinité, yĩang Sorsei avait été évoquée, le chef du village se sentit tellement anéanti par le poids de cette divinité et l’importance de ce rituel, qu’il s’est fait faire une cérémonie de « rappel d’âme » dans la semaine suivante.
Un autre cas semblable, dont j’ai été informé, mais que je n’ai pas vu, était quand, pour cause de jalousie, une fille avait été battue par des gars. A part payer une amende, ils devaient également financer un arô ruviye, afin de récompenser la « perte de la face » de la fille.

65 Pour la différence entre ntơăng et yao, voir plus haut.

66 Les Brou vivent à cheval sur la frontière du Vietnam et du Laos et subissent une forte influence « laotienne » de la part de leur voisins les plus près, les Phu tai.

67 Par exemple toute la partie « facultative », faite par des bonzes bouddhiques ; tout ce qui entre chez lui dans la catégorie de « préparation » (la description de l’officiant et des invités, du plateau d’offrandes, la disposition des participants etc.) ; et finalement l’invocation du triple Joyau – coutume Bouddhique également.

68 Voir entre autres: Roux 1954: 337-338 (Khmu); Moréchand 1968:83-122 et 277 (Hmong).

69 Pour une ethnie sud-est-asiatique, parmi laquelle le buffle n’est jamais utilisé pour de fins religieuses, et où le porc représente l’animal sacrificiel par excellence, voir Wall, 1975: 33-34.

70 Ces questions vont de « la divinité en question veut-elle bien déscendre pour consommer les offrandes? » et de « est-elle déjà bien arrivée? », jusqu’à « est-elle rassasiée, contante et va-t-elle, en revanche, rétablir la santé du malade? »

71 Voir entre autres Ferlus 1977 (Khmou); Maurice 1993: 630-631 (Mnong); Condominas 1957: 156, 162, 166, 194, 206-207, 246-7, 384, 385 (Mnong).

72 Pour d’autres méthodes de divination chez une population montagnarde, voir « divination » dans l’index analytique de Condominas, 1957.

73 Ces séances sont souvent qualifiées de chamaniques, et par de nombreux chercheurs. Voir p.e. Guillemoz 1992, 1994.

74 Sasil coréen étant traduit par Guillemoz comme « épreuve de vérité ». Pour une description détaillée de « l’épreuve de vérité du cochon », voir Guillemoz, 1992: 332-334; et aussi Guillemoz, 1994: 24.

 

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Vargyas, Gábor (1996/b): Les Brou: une minorité à cheval sur le Laos et le Vietnam. (Communication faite à la „Réunion internationale d’experts pour la sauvegarde et la promotion du patrimoine culturel immatériel des groupes minoritaires de la RDP Lao”, Vientiane, le 7-12 octobre, 1996.) A paraître.

Vargyas, Gábor (1996c): A Vietnamese Minority in Transition: the Bru. (Communication faite au congrès international „Asian Minority Cultures in Transition. Diversity, Identities and Encounters”, Münster, RFA, le 12-15 Décembre, 1996.) A paraître.

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Vargyas, Gábor (1997/b): Divináció a vietnami brúknál. („Divination chez les Brou du Vietnam”. Communication faite au séminaire „Destin, divination, sacrifice” organisé par l’Institut d’Ethnologie de l’Académie Hongroise des Sciences, Budapest, le 12-14. Septembre, 1997). A paraître.

Vargyas, Gábor (1997/c): Continuity and Change amongst the Bru of Vietnam Central. A Case Study. (Communication faite au 3ème congrès international EUROVIET, organisé par le Center for Asian Studies Amsterdam (CASA) et le International Institute of Asian Studies, Amsterdam, Pays Bas, le 2-6. Juillet, 1997.) A paraître.

Vargyas, Gábor (1998): Dry Rice and Wet Rice. Markers of Cultural Identity. (Communication faite au congrès „The International Convention of Asia Scholars”, Noordwijkerhout, Pays Bas, le 25-28. Juin, 1998.) A paraître.

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